Alors dis moi c’est quoi un adventiste ? (4) : des légalistes ? Deuxième partie (17.09.2007)
Je n’imaginais pas que l’association des termes « adventiste » et « légaliste » rencontrerait un tel succès. Continuons donc sur cette vague qui a elle seule conduit plus de cent personnes par jour ici. Dans la première partie je vous indiquais que l’Eglise Adventiste ne peut être considérée comme une organisation religieuse légaliste. Les précisions historiques des commentaires de Chandler confirment également ce point. Pourtant, dans les enquêtes elle apparaît comme telle. C’est d’ailleurs l’un des principaux mots qu’utilisent directement ou indirectement les individus qui connaissent l’adventisme sans y être membre, pour le qualifier. De nombreux points expliquent la permanence du légalisme sur l’image adventiste. Je traiterai ici uniquement de trois raisons rapidement. Une historique, la seconde théologique et la troisième sociologique.
Dès son émergence l’adventisme rencontra des succès dans les autres groupes religieux protestant, ce qui lui a attiré les critiques. N’oublions pas que les fondateurs furent souvent des anciens pasteurs ou leaders qui quittèrent des organisations protestantes (baptiste, méthodistes…) pour se convertirent à l’adventisme. L’incompréhension était importante chez les groupes abandonnés qui voyaient dans l’adventisme un groupe d’une rigueur ascétique très forte qualifiée très tôt de légaliste. L’insistance sur le sabbat et l’ensemble des dix commandements, la pratique de la dîme, le rituel complet de la cène, etc. apparaissaient comme des pratiques souvent désuètes que réenchantait l’adventisme naissant. Ainsi stratégiquement il semblait opportun de stigmatiser l’adventisme dans un passé. Alors que l’Eglise Adventiste était nouvelle, la critique allait s’évertuer à la présenter comme rétrograde, ancienne, déjà caduque avant de naître. Pour cela le qualificatif de légaliste était opportun. Dans une Amérique de la deuxième moitié du XIXème qui était tournée vers la quête du progrès économique, le qualificatif aurait pu porter un coup de grâce à la fragile église naissante de l’époque. Pourtant, comme un heureux effet pervers pour les adventistes, la connotation de légaliste allait participer à son succès sans le vouloir. Qualifier l’adventisme de légalisme peut apparaître dans une lecture historique, même basée sur quelques discours adventistes de l’époque comme juste. Cependant il ne faut pas oublier que pour les leaders adventistes, le thème de la grâce était un point largement acquis. Il fallait insister sur les éléments de croyances et donc de pratiques, qu’apportait le groupe (Cf les commentaires de Chandler Jean Luc sur le blog et son ouvrage). Rétrospectivement cela peut apparaître comme du légalisme. Pourtant, les historiens de l’adventisme rappellent l’évidence de la permanence du thème de la grâce dans la SDA. Si vous connaissez le champ religieux américain, vous savez que le terme de légalisme peut renvoyer aussi à une authenticité historique et biblique, au moins hypothétiquement. L’Eglise Adventiste naissante se caractérisait entre autre par le biblicisme ambiant. L’orientation particulière qu’elle en donna à son biblicisme fut une réponse (ou une attaque peu importe) aux groupes protestants institutionnalisés. Ceux-ci étaient vus comme des organisations qui avaient abandonnées l’essentiel du message biblique. L’Eglise Adventiste apparaissait donc comme une institution nouvelle qui allaient réaffirmer des vérités anciennes certes, mais nécessaires. Bref, le légalisme dont était qualifié l’adventisme devenait sa force. Ce qui pouvait apparaître comme légaliste n’était autre que les vérités édulcorées et rejetées par les groupes protestants. Le sabbat par exemple est pour l’adventisme une vérité essentielle abandonnée par les autres groupes protestants. Ainsi on comprend pourquoi E. G. White indique que le nom d’Adventiste du 7ème jour sera un reproche constant au monde protestant.
La deuxième source d’explication fut en partie abordée déjà. Il s’agit de l’incompréhension théologique entre adventisme et une grande partie des autres groupes chrétiens. L’adventisme essaie d’avoir une lecture du texte biblique qui implique l’Ancien et le Nouveau Testament en leur donnant une valeur identique. Jésus n’est pas perçu comme un personnage circonscrit dans le Second Testament. Lire l’un sans l’autre est une hérésie pour l’adventisme. Cela n’empêche pas le groupe d’aboutir à des interprétations du texte biblique en phase avec les autres groupes religieux. Mais celles-ci sont toujours réalisées en référence à l’ensemble de la Bible. Par exemple c’est en se référant à l’ensemble du Corpus biblique que l’adventisme conçoit la grâce, là où elle peut sembler absente pour d’autres groupes protestants. Tel est le cas pour les passages bibliques de l’Ancien Testament qui sont considérés comme sanguinaires. Maints des groupes protestants se content du Second Testament pour parler de ce thème alors que l’adventisme le perçoit de la Genèse à l’Apocalypse. Cette différence théologique alimente l’incompréhension historique. De nombreux groupes pensent que l’adventisme en insistant sur l’Ancien Testament ne se débarrasse pas du légalisme. Ceci dit, les échanges de plus en plus importants entre responsables adventistes et d’autres groupes protestants lèvent les ambiguïtés.
Le troisième élément explicatif retenu concerne la sociologie directement. Voulant se distinguer des autres groupes religieux, les adventistes ont développé une ascèse rigoriste. De fait, pour parler de l’adventisme c’est le NE PAS qui ressort (généralement c'est aussi plus facile pour définir un objet flou). Demandant à des protestants de me donner des expressions pour définir les adventistes il m’indiquèrent : (par ordre d’importance)
- ils ne mangent pas de porc
- ils ne travaillent pas le samedi
- ils ne gardent pas la Bible comme seule base (référence à Ellen G. White)
- ils ne boivent pas d’alcool
- ils ne lisent pas que la bible
- ils ne portent pas de bijoux (dans certains territoires)
- ils ne vont pas au cinéma
- ils ne regardent pas la télévision
- etc.
Plusieurs de ces affirmations ne correspondent pas à la réalité adventiste. Mais ce qui est important de constater, c’est que pour définir synthétiquement l’adventisme les interlocuteurs présentent l’adventisme comme un espace d’interdits. Pour eux il s’agit directement d’un effet du légalisme adventiste. En prolongeant l’échange il apparaît que ces images de l’adventisme sont surtout présentes chez les individus qui ont été en relation plus ou moins lâche, lointaine, avec l’adventisme. Mais surtout, pour l’essentiel, des protestants interrogés (je termine encore le dépouillement) il apparaît que la relation avec un adventiste a contribué à produire l’image légaliste de l’adventisme ! En d’autres termes, l’image de légaliste semble chez les interlocuteurs surtout construite et diffuse à partir de la communication individuelle d’adventistes qui sont vus socialement comme des individus de l’interdit. Des adventistes sont donc, paradoxalement en raison de maladresse de communication, à la base d’une image légaliste. Pas étonnant qu’un pasteur protestant indique concernant les adventistes « ils ne font pas comme tout le monde, mais ils ne disent pas pourquoi. Ils ne rappellent pas par exemple que c’est par grâce qu’ils agissent comme ils font. On a l’impression souvent qu’ils s’attachent plus qu'à ce qu’ils font à ce qu’ils sont. C’est ce qu’ils sont qui est plus fort finalement. Mais faudrait-il encore mieux le présenter ». Notons que la direction adventiste sensibilise les fidèles sur les effets dévastateurs d’une communication maladroite. Il faut dire que pour la grande majorité des adventistes en France il y a le présupposé que les membres d’autres groupes religieux ont une connaissance minimale de ce qu’est l’adventisme. Pourtant tel n’est pas le cas. Partant sur cette erreur, les maladresses communicationnelles sont grandes. Elles sont surtout produites chez par des adventistes qui ont une « culture de la reconnaissance sociale », c’est-à-dire de fidèles qui proviennent de cultures où l’adventisme est connue où même reconnue.
Une autre piste d’explication de l’image légaliste est l’effet de la modernité religieuse ou plus précisément de l’ultramodernité. L’adventisme se veut être un groupe de virtuoses ascétiques. Entendons par là qu’il est demandé aux individus de fortes implications dans la vie de l’organisation, un militantisme (au sens positif), un niveau de connaissance des textes qui est important, des pratiques qui se distinguent qualitativement des autres individus pour que l’adventisme se démarquent par le haut tout en prenant une part active à la vie en société, etc. Attention il ne s’agit pas de fanatisme, mais d’une implication forte avec une quête de cohérence entre le discours du groupe et la pratique, tout en ayant une ouverture de plus en plus forte vers les autres groupes religieux. On est dans une religion de convertis confessants. C’est-à-dire de personnes qui non seulement adhèrent par choix personnel, mais qui doivent (idéalement) concrétiser cette nouvelle orientation dans un perpétuel engagement. Ceci conduit à une pratique religieuse plus importante que celle mesurée dans maints groupes religieux. Surtout, dans l’adventisme il y a une insistance sur des valeurs qui sont en décalage avec l’ultramodernité. Ceci ne veut pas dire que l’adventisme est épargné par les changements modernes du religieux. Mais on part d’un niveau de pratique très important ce qui fait de l’adventisme une religion à forte pratique religieuse. Il y a donc un effet de contraste donnant l’impression d’un légalisme. Insistons en disant que la forte pratique donne l’impression d’un important ritualise donc d’un légalisme. Pour terminer simplement, notons que le qualificatif de légaliste apparaît comme le prix que semble payer l’adventisme à une recherche de virtuosité pour ses membres et à une permanence des valeurs historiques du groupe. Ainsi l’observation du sabbat, le refus de liens matrimoniaux autre que le mariage, l’importance toujours accordée aux interdits alimentaires, la nécessité d’étudier quotidiennement le texte biblique, etc. participent à donner à l’adventisme une image de légaliste alors qu'il faudrait parler de cohérence historique aux effets communicationnelles (image de légalisme).
05:25 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : historique, légalisme, eglise adventiste, définition | | Facebook
Commentaires
Je suis protestant et j'ai participé rapidement à l'enquête de M. Desplan. Vraiment, vraiment très intéressant. J'illustre pour tout le monde: 1) Une série de questions sur l'Eglise Adventiste, puis 2) certains comme moi ont fait des entretiens et 3) des lectures adventistes et pour finir 4) les questions de départs qui sont posées de nouveaux. Et là on ne répond plus de la même manière. Finalement comme M. Desplan le dit, il faut mieux communiquer pour ne pas être taxer de n'importe quoi. Et puis, on est vite ce que l'on dénonce. Amitiés fraternelles
Écrit par : René | 18.09.2007
Merci à Fabrice pour la qualité de ses articles et pour ce dossier en particulier. Deux mots encore sur un sujet qui semble faire couler quelques litres d'encre.
1° Ne peut-on pas commenter la pensée d'un être humain, d'un groupe religieux, dans un esprit qui ne cherche pas à régler des comptes, à faire sa petite thérapie par la médisance ? "Cultivez l'habitude de parler positivement des autres. Arrêtez-vous sur les qualités de ceux qui vous entourent, voyez le moins possible leurs erreurs et leurs faiblesses. Lorsque vous êtes tentés de vous plaindre d'une attitude ou d'une parole, louez un élément du caractère ou de la vie de cette personne." Cette citation concerne essentiellement les relations humaines, mais je souhaite l'appliquer aujourd'hui à cette discussion, que je ne trouve hélas pas toujours œcuménique.
2° Pourquoi faut-il que le légaliste soit toujours l'autre ? L'être humain, dans son essence, est légaliste. Je le suis moi- même. Et cela ne signifie pas que j'en sois fier. Le légalisme n'a RIEN à voir avec des prescriptions. On peut très bien vivre sa foi dans un monastère, fidèle à l'Evangile et à la Règle de Saint-Benoît, accorder à celle-ci une autorité spirituelle et ne pas du tout être légaliste. Même lorsque l'on jeûne, fait silence pendant plusieurs jours, voir pendant des semaines, comme les Chartreux. On peut être musulman et enfant de Dieu, sans être légaliste. Même en s'abstinent de porc et d'alcool. On peut tout au contraire être profondément légaliste, tout en prêchant du matin au soir la grâce. Les milieux qui sont le plus vulnérables sont ceux qui ignorent ou font semblant d'ignorer leur propre légalisme.
L'histoire de la communauté adventiste témoigne avec transparence de ses faiblesses, de ses légalismes. Cela a été dit par certains internautes ici et par Fabrice Desplan. Mais cette même histoire est remplie de femmes et d'hommes, de publications, d'actions, de militance, qui révèle combien cette famille chrétienne met au centre de sa spiritualité la générosité de Dieu, sa passion pour l'homme, sa confiance en l'homme, son bonheur de lui venir en aide gratuitement. De le sauver en le débarrassant de sa tentation de se tirer les cheveux pour aller au ciel (Paul Tournier)
Un conseil aux internautes qui ont accès à l'anglais: lisez l'article de Samir Selmanovic dans le dernier numéro de la revue Spectrum. Un pur chef d'œuvre sur la grâce. Cette revue comme cet auteur sont adventistes. J'ai rarement lu dans ma vie des paroles d'une aussi grande générosité et une aussi belle plaidoirie de la grâce. Je suis prêt à faire des copies gratuitement aux internautes qui le demandent. Ecrivez-moi, ce sera un plaisir.
Jean-Luc Rolland
Faculté adventiste de théologie
Écrit par : Jean-Luc Rolland | 18.09.2007
Kudos pour votre enquète qui confirme la persistance de certaines incompréhensions sur l'adventisme. Ce qui m'amène à ces quelques remarques:
1. Je ne suis pas sûr que le public - religieux ou non - comprenne toujours les termes "légalisme" ou "légaliste" (dans leur définition théologique) comme étant "la tentative de gagner le salut par ses propres oeuvres". Il semble aussi qu'ils soient souvent, voire même avant tout, assimilés à la simple idée d'un "bouquet de pratiques religieuses plutôt rigoureuses". Ce qui n'est pas forcément lié.
2. Sur le plan du raisonnement, c'est un problème. Par exemple, peut-on dire que l'observation scrupuleuse du code de la route soit du légalisme? Ou un bienfait et une protection?
3. Je ne suis pas sûr non plus que le public saisisse vraiment la dimension de la grâce dans la théologie adventiste. Prenons par exemple la doctrine emblématique du sabbat. Les théologiens adventistes font remarquer que dans son essence le sabbat s'oppose frontalement au légalisme. Il enjoint précisément de se "reposer de ses oeuvres" afin d'admirer et de dépendre des oeuvres de Dieu (la création, le salut à la croix, l'attente du retour du Christ).
A cela s'ajoute que la Bible ne parle jamais d'un changement de jour de repos et qu'avant l'avènement de l'empereur Constantin au IVe siècle, la grande majorité de l'Eglise chrétienne primitive (les deux exceptions notoires furent les églises de Rome et d'Alexandrie) observa le sabbat.
4. Historiquement, on ne traita jamais les millérites de légalistes et ils ne cherchèrent jamais à quitter les églises protestantes. Mais peu avant le 22 octobre 1844, et surtout après cette date, ils furent exclus de leurs congrégations contre leur gré. L'accusation de légalisme fit réellement surface plus tard - plus clairement durant les années 1870-1880 - après la période initiale de fondation doctrinale, d'organisation formelle de l'Eglise adventiste du septième jour (en 1860) et de développement des institutions adventistes.
5. A mon avis, l'utilisation du terme "ascétisme" est inappropriée pour décrire vraiment le mode de vie et la pensée adventiste. Je doute que les adventistes se reconnaissent comme des "virtuoses ascétiques". Le terme est notoirement absent de leur théologie et de leur vocabulaire.
Historiquement, les ascétiques chrétiens - notamment gnostiques - (mais aussi musulmans et hindous) considèrent le corps et le monde comme étant mauvais. D'où les pénitences, les longs jeûnes, les privations, les mortifications, l'abstinence sexuelle (même dans le marriage) ou la vie monastique pour s'éloigner du monde extérieur.
Rien de tout cela au sein de l'adventisme qui pratique l'équilibre comme règle de vie et rejette deux pôles de conceptions extrêmes - le mépris du corps ou l'hédonisme, l'isolation totale ou l'assimilation complète avec le monde. Jésus et ses disciples n'étaient pas des ascètes. Certes, ils endurèrent des tribulations mais ils ne se les infligèrent jamais.
6. Par contre, parler de "convertis professants" ou de "forte pratique religieuse" correspond mieux à la réalité. Bonhoeffer qualifiait cette foi active de "grâce à prix d'or" par contraste avec une "grâce bon marché" (une foi nonchalante). Ce qui ne veut nullement dire qu'on ne trouve pas d'autres chrétiens engagés et exigeants dans leur manière de vivre leur foi. Ou des adventistes nonchalants dans le vécu de la foi.
7. Pour finir, vous soulignez correctement l'obstacle de communication des adventistes. Ils ont des efforts à faire dans ce domaine. Cela dit, la perception qu'on a d'eux est inégale et évolutive à travers le monde. Ainsi par exemple, pendant longtemps ils furent perçus comme des gens bizarres avec leur emphase sur le végétarisme. Mais savez-vous que deux millions de français sont aujourd'hui végétariens? Les temps changent.
Écrit par : Jean-Luc Chandler | 20.09.2007
Chandler,
Vous indiquez des points intéressants, mais oubliez que l’utilisation du vocabulaire est fait par un sociologue et non un historien ou un théologien. J’y reviendrai.
Incontestablement, si nous devions demander aux individus une définition du légalisme, nous aurions plus des jugements de valeurs, des opinions, qu’une véritable conceptualisation. Et même dans ce cas elle différerait d’un individu à un autre, quand même seraient-ils tous religieux. Notons également que le mot a une connotation négative, mais cela ne va pas de soit. L’exemple imparfait (c’est le propre de tous) du code de la route est révélateur. Mais rappelez-vous, ce qui importe pour le sociologue ce n’est pas si les gens ont une vision exacte, imparfaite, d’un terme, mais comment leur représentation sur d’un concept influence leurs actions sociales. Dans cette même ligne, ce qui fait objet pour le sociologue, ce sont les constructions de représentations des individus, même si elles s’éloignent de ce que l’on pourrait penser être conforme. C’est le sens de ce dossier sur le légalisme. Ce qui est pertinent c’est : pourquoi l’adventisme apparaît comme légaliste (même si le sens du mot reste flou, mais quand même négatif) alors que le discours du groupe ne l’est pas ? Pourquoi, malgré l’histoire de l’adventisme que vous résumez longuement, le qualificatif de légalisme persiste ? Cette remarque sur l’objet sociologique et le caractère autonome des termes employés par rapport à d’autres sciences humaines permet de revenir sur les termes utilisés. J’ai développé le sens que je leur donne dans le premier tome de l’analyse que je propose de l’adventisme.
Quand je parle de « virtuoses ascétique », il ne s’agit pas de chercher une terminologie présente dans l’histoire adventiste ou encore dans la théologie du groupe. Sinon quel intérêt d’un discours sociologique qui doit se distinguer en apportant un regard complémentaire sur l’adventisme ? Nul besoin également d’indiquer un terme dont le but serait de faire les individus s’y reconnaître. L’analyse s’autonomise du discours des individus. Il s’agit d’une construction sociologique (ou d’une tentative). De fait il n’y a pas d’erreur. C’est là que le vocabulaire employé prend sens. J’ai parlé de « virtuose ascétique » en relation avec les concepts de Max Weber et en faisant un clin d’œil implicite aux travaux de Kristoff Talion (Cf. Kristoff Talion, « Les virtuoses du religieux : de l’action stratégique sociale », Religiologiques, 22, 2000, pp. 15-38.). Je ne me pose pas la question de la présence de ce dernier concept dans l’histoire de l’adventisme. Le recul sociologique m’autorise à l’utiliser dans un sens bien précis. Ceci compris, le recours à l’histoire que vous faite pour considérer que les termes ne sont pas adaptés est totalement inapproprié puisque le discours qui est mien n’est pas historique même s’il se réfère à l’histoire. De plus n’oubliez jamais que le zoom fait ici sur l’adventisme doit être mis en perspective avec d’autres organisations religieuses contemporaines. Cette mise en perspective dans le contexte de la modernité justifie le qualificatif de « virtuose ascétique ». Pour faire simple il faut voir dans cette expression qu’il faut donc libérer de l’histoire et de la théologie malgré les ramifications évidentes, un synonyme du piétisme auquel on rajouterait le souci d’avoir une « ascèse intramondaire » (Max Weber), le désir que sa piété est une influence déterminante sur le monde. Le lien avec l’idée de « convertis confessants » est de ce fait tout trouvé. Evidemment les choses ne sont pas uniformes. J’insiste toujours, au risque de chasser des lecteurs, que l’adventisme est un espace de diversité (un pluriel serait encore plus pertinent). Une cohérence dans le sens de l’utilisation sociologique des termes est bien présente. Tout cela pour dire, que vous tombez dans le piège des sens. Restons ici dans l’orientation sociologique. C’est une difficulté. L’un des buts du blog est d’ailleurs de faire sortir les individus impliqués dans les groupes religieux (au premier chef les adventistes, puisque sujet d’analyse) du mono sens théologico-historique qu’ils donnent aux termes.
Le dernier point que vous notiez sur le végétarisme rencontre les remarques du début des années 80 faites par l’anthropologue Anne Marie Topalov qui indiquait que le végétarisme dans l’adventisme démarque le fidèle des chrétiens végétariens et des végétariens. Pus largement, en référence à l’équilibre que vous évoquiez autour du rapport au corps (comme sociologue je ne saurai jamais s’il y a équilibre), je pense que le concept de religion de la santé au sens évoqué dans des précédentes notes est opératoire. Encore une fois le mérite revient à Anne Marie Topalov
Tout ceci étant trop longuement dit, essayons de comprendre le pourquoi d'une image légaliste adossé à l'adventisme. Là, il faut noter la pluralité des réceptions de l'adventisme, des pratiques adventistes, en divers points du globe. Un adventiste français sera certainement dérouté par rapport aux pratiques et croyances d'un adventiste Mauricien à Maurice ! Le dernier commentaire de Jean Paul est à ce titre éclairant. Un adventiste dans l'Hexagone sera dérouté par rapport aux pratiques, repères, croyances de l'adventisme aux Antilles ! C'est l'effet de la diversité adventiste. L'adventisme peut être légaliste ici, pas là-bas. Légaliste aux yeux de celui-ci et pas de celle-là, etc. Finalement nous revenons à poser la question de Rolland et à la remarque de rené: quel est la partinence de ce terme qui vise finalement qu'à qualifier le religieux d'autrui ?
Écrit par : fades | 20.09.2007
Que les lecteurs de ce blog me pardonne pour mes fréquentes incursions aux analyses sociologiques, souvent pertinentes, de Desplan, mais à mon sens, elles réclament parfois quelques affinements.
Même si je saisis bien la différence entre la sociologie et les autres disciplines de recherche, à mon humble avis il est presque impossible d'affiner des analyses sur un groupe religieux sans une connaissance claire de son histoire et de sa théologie. L'adventisme est mal connu (voire inconnu) de la grande majorité des français. D'ailleurs, votre enquête révèle des clichés, des caricatures et des erreurs d'appréciation.
Il y aurait beaucoup à dire mais je vais essayer de faire court et de me concentrer sur quatre points essentiels.
1. A mon avis, la définition des mots est une base incontournable de départ dans un travail de recherche.
Dans la littérature biblique, le mot "légalisme" a un sens simple, clair et précis: c'est "la tentative d'obtenir le salut par ses oeuvres". Si l'on se met à modifier ou à élargir ce point, le sens du mot s'obscurcit et devient confus. On ne sait plus de quoi on parle. N'importe qui peut être un légaliste.
Une autre grosse confusion consiste à mélanger et à confondre deux genres: le légalisme et l'application des lois. Les deux n'ont pas grand chose à voir. Les règles, les lois, les conventions servent à organiser, à réguler et à faire fonctionner. Il existe des millions de lois dans des centaines de domaines très variés. Dieu merçi, les planètes obéissent aux lois de la physique. Dans le cas contraire, on sait ce qu'il en résulterait. De l'anarchie et de la destruction. Le respect de ces lois n'a rien à voir avec le légalisme.
Dans le même ordre d'idées, on trouve des lois diverses dans la Bible. Notez au passage qu'elles n'ont pas toutes la même valeur. Ainsi, les principes de la loi morale sont éternels. On ne peut pas envisager les choses autrement. En termes de moralité, les supprimer ou les transgresser est un mal moral. Certaines lois, comme les "lois" cérémonielles (la plupart des rituels) sont temporaires. Leur suppression n'a aucune conséquence.
2. Certains agitent la pluralité des pratiques adventistes aux quatre coins du globe comme une possible explication à la perception qu'ils sont légalistes. Cà reste à voir.
(1), les déclarations et les croyances officielles de l'Eglise adventiste affirment que le salut est par grâce. (2), les adventistes croient tous aux mêmes doctrines. L'unité est universelle sur ce point. (3), les différences ne portent pas sur les doctrines mais sur des aspects secondaires, de valeur moindre, qui touchent à des détails dans l'application du mode de vie adventiste aux cultures locales. Dans le respect des principes bibliques universels, les applications varient plus ou moins localement.
En fonction de leurs sensibilités culturelles, les uns et les autres trouveront - c'est subjectif - qu'on est plus traditionnel par ici ou plus libéral par là mais dans le sens réel du terme, on croise peut-être des individus légalistes (comme dans n'importe quelle religion) mais dans des secteurs entiers de la planète? Ca reste à prouver.
3. Que le sociologue utilise un vocabulaire propre à sa discipline me paraît tout à fait normal. Néanmoins, je m'interroge sur la pertinence de l'utilisation de certains termes qui involontairement pourraient véhiculer une image non conforme de la réalité.
Qu'on le veuille ou non, les gens associent les mots à des images qui ne correspondent pas toujours à leurs significations premières ou originales. Ces glissements sémantiques sont sources de confusion - et expliquent d'ailleurs la perception erronée de légalisme dans l'adventisme.
A titre d'exemple, je me permettrais pas dans le contexte français d'appeler certaines Eglises évangéliques des "fondamentalistes" ou des "puritains", bien qu'elles le soient historiquement. En France aujourd'hui, le sens donné à ces mots est complètement différent.
Originellement, les Puritains étaient un groupe religieux qui encourageaient les Protestants à revenir "à la purité des Ecritures" (en excluant la tradition). Mais dans l'imaginaire du public aujourd'hui, l'expression désigne des extrêmistes de la morale.
A l'origine, à la suite d'un livre intitulé "Les fondements du Christianisme", les Protestants qui restèrent attachés aux doctrines chrétiennes traditionelles (touchant notamment au surnaturel - la divinité du Christ, sa résurrection, les miracles) furent appelés "les fondamentalistes" en contraste avec "les modernistes" qui nièrent tout élément surnaturel aux récits bibliques. Mais aujourd'hui dans l'esprit du public, le terme désigne des extrémistes religieux.
4. Dans le même ordre d'idée, j'ai l'impression en revanche que dans l'imaginaire du public, le mot "ascétique" semble toujours suggérer quelqu'un qui s'isole de la cilivisation et qui s'impose des privations surhumaines - dans une intention parfois légaliste. A mon humble avis, l'utilisation du mot peut entraîner une méprise que le sociologue lui-même ne souhaite pas.
Écrit par : Jean-Luc Chandler | 23.09.2007