Sociologiser

Les 567 baptêmes clôturaient une « campagne d’évangélisation ». Entendons par là, une intensification circonscrite dans le temps et l’espace, de la communication adventiste en direction des populations, pour les inviter à découvrir les croyances et pratiques du groupe, dans le but explicite d’adhérer à l’Eglise Adventiste. J’aurai pu simplement parler de prosélytisme, mais le terme devient de plus en plus connoter négativement, alors gardons le vocabulaire d’évangélisation.
Cette campagne d’évangélisation a mobilisé toutes les communautés adventistes de l’Île. Souvent, les communautés adventistes organisent, en autonomie, leur stratégie d’évangélisation et s’adaptent au plus près du terrain. Plus rarement, en raison des contraintes de logistiques et de réglementation, toutes les églises, par le biais de la Fédération adventiste locale, coordonnent leurs efforts pour occuper simultanément le terrain et mener de front une campagne d’évangélisation. Ces campagnes coordonnées sont des temps extrêmement forts pour l’adventisme. L’investissement humain, financier et symbolique est colossal. Il n’est pas rare, dans la Caraïbe que durant plusieurs semaines, au rythme de 3 à 4 jours par semaine, si ce n’est quotidiennement, que l’Eglise Adventiste organise des campagnes. Elles peuvent prendre la forme, comme ce fut le cas à Tobago, de Camp meeting comme au premier temps de l’Eglise Adventiste. Un pasteur charismatique est invité pour distiller, durant toutes les semaines, les vérités adventistes. En fin de campagne, il invite les individus à manifester leur adhésion à son discours par le baptême. L’invitation, appelée « Appel », marque surtout la nécessité de se baptiser et de se préparer au retour du Christ.
En amont de la Campagne, les adventistes ont préparé le terrain en faisant du porte à porte et différentes petites manifestations. Avec la Campagne d’évangélisation, les individus préalablement sensibilisés sont invités à suivre les conférences en espérant qu’ils se baptisent.
L’opération fut un incontestable succès adventiste à Tobago. Mais derrière ce chiffre de 567 baptisés, il ne faut pas se méprendre. Evidemment il m’est impossible de connaître précisément ce qu’il renferme, mais il serait surprenant qu’il se structure différemment des autres Campagnes d’évangélisation !

Derrière ce chiffre il y a toutes les catégories de convertis à l’adventisme, dont les individus nés dans le groupe. Il y a également (peu nombreux en général) des individus qui ont quittés l’adventisme et le réintègre. Mais surtout, l’expérience le montre, il y a ceux qui ont eu le « coup de foudre » ou le « oui » facile. Ceux-là quitteront l’adventisme en quelques années. Reste, que le chiffre de 567 est conséquent, puisqu’il débouchera sur la naissance d’une 31^e église adventiste.
Les baptêmes collectifs sont des temps sociaux qu’il faut observer dans la Caraïbe. Ils se déroulent sur une plage. De fait, elle est pratiquement inaccessible le temps de la cérémonie. Bus, cabines, voitures, logistiques, etc. occupent la plage. Parfois un corridor est installé dans la mer lieu du baptême par immersion. Le public adventiste essentiellement est au rendez-vous, parce que le baptême est le résultat d’effort, mais marque un temps social, une interaction symbolique avec la société antillaise. Bref, pour dire les choses simplement, une véritable démonstration de force de l’adventisme se réalise. Elle est premièrement numérique. Mais elle est surtout symbolique : l’adventisme démontre que son discours a une place dans la société. Elle est de fait, une particularité structurante du social antillais, qu’il faut prendre en compte. La cérémonie de baptême est une mise en scène (au bon sens du terme – j’aurai pu dire encore rituel) qui invite également, par son déroulement extrêmement visible, les individus présents sur la plage à connaître l’adventisme, voir à l’intégrer.Que retenir dans le cas de Tobago et plus largement dans la Caraïbe ? Le niveau important du nombre de baptême traduit certainement :

1. Un engagement conséquent des membres de l’adventisme à Tobago. La séance collective de baptêmes résulte de leur investissement.
2. La possibilité d’organiser et l’acceptation une telle cérémonie par la société globale marque l’insertion réussie de l’adventisme dans ladite société.
3. La visibilité du rituel s’additionne à d’autres visibilités (architecturale, spécificité du discours…) pour faire de l’adventisme une institution religieuse qui interroge en permanence le tissus social, dans le but de l’inviter à adhérer à ses propositions de croyances.

Quasi aucune chance en France hexagonale, durant cet été que vous vous sentiez chassés de la plage par une cohorte de plusieurs milliers d’adventistes s’adonnant au baptême de 567 personnes. Mais si vous allez dans la Caraïbe, et que vous assistez à un tel rituel, retenez que vous n’êtes pas de simples témoins, mais des acteurs à qui ce rituel parle et veut poser des questions. En vous demandant, « qu’est-ce qui se passe ? », « qui sont ces gens massés ? », « pourquoi certains sont en robes blanches dans la mer ? », etc., vous êtes une première réussite de la visibilité du rituel de baptêmes collectifs. Maintenant les adventistes espéreront que vous continuerez le questionnement et surtout approfondirez auprès d’eux la curiosité suscitée. Mais là, c’est à vous de voir jusqu’où vous êtes un acteur malgré vous du rituel ou plus.