Grèves aux Antilles, identité et religion. Acte 1 (04.07.2009)
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Les sollicitations pour commenter le mouvement social aux Antilles furent très nombreuses. Je n'ai accepté aucune pour différentes raisons durant le mouvement social.
Premièrement il y a des chercheurs plus informés que moi sur la question. Deuxièmement, si je m'intéresse aux Antilles, je n'ai pas directement observé le mouvement social en Guadeloupe (puisque c'est principalement de ce Département qu'il est question). Troisièmement, je m'intéresse aux Antilles avant tout au travers de la question des valeurs et croyances religieuses. Ce regard a besoin de s'extirper de l'actualité pour être pertinent.
Bien que le climat social antillais soit encore très tendu, on peut dans un climat plus serein poser la question de la place du religieux dans ce mouvement social. Cela peut se faire de deux manières. Quel est le discours du religieux chez les leaders de la protestation ? Personnellement je ne peux pas répondre à cette question. Plus intéressant pour moi est la traditionnelle problématique de la place du religieux. En d'autres termes, que démontre la place du religieux dans la société antillaise, en relation avec l'image que traduit le dernier mouvement social sur cette dite société ? Pour faire plus simple, si on prend en compte la place du religieux dans la société antillaise, l'image, l'impression d'une société en désespérance tient-elle ? Bref, comment mieux rendre compte de l'identité antillaise quand on prend en compte le mouvement social et le religieux. Vaste programme. Ben... entamons-le. Je tiens déjà à vous dire qu'il sera l'objet de mon prochain livre en cours de finalisation (et de tractation avec l'éditeur).
Après la signature des accords, j'ai donné qu'une seule conférence sur la question. Celle-ci a en partie commencé à répondre. Je reviens partiellement sur ce que j'y ai développé. Elle s'est déroulée à Lille, au siège de la Fédération du Parti Socialiste, à l'invitation de Gilles Pargneaux tête de liste socialiste à la députation européenne. Notez que j'aurai fait de même dans n'importe qu'elle autre formation politique même d'extrême droite, dès lors que je peux m'exprimer à ma guise et en sécurité. Ceux qui me connaissent savent d'ailleurs que je préfère allez dans des terres hostiles quand il s'agit de parler des Antilles.
Revenons à la conférence qui s'est déroulée au PS. J'ai accepté d'y être parce que la grève générale était achevée et surtout parce qu'il est impossible de dire non à Virginie Tchoffo, responsable de la relation Nord Sud au sein du PS Nord. Mais surtout Virginie m'a garanti une liberté de ton et d'expression. Elle a même fait venir de la Guadeloupe, le Premier Vice Président du Conseil Général, Monsieur Félix Desplan (oui nous sommes parents et proches), Maire de la Ville de Pointe Noire et responsable de différents organismes et institutions.
Le thème de la rencontre était La place des Dom dans la République. Le mouvement social de 44 jours qui vient de se terminer dans son aspect général permet de reposer avec acuité la question. Celui-ci ne peut se comprendre qu'en rappelant que les Antilles sont avant tout des sociétés post-esclavagistes, mais dont le tissus économique et sociale rester déterminés par l'héritage de l'esclavage. Je ne vais pas directement parler de l'évident impact des ravages de l'esclavage sur la société antillaise et sur sa manière de protester contre le pouvoir central lorsqu'elle pense que ce dernier a un rôle, voire une responsabilité dans des dysfonctionnements sociaux. Entant que sociologue je me permettrai d'insister sur quelques points dans l'ambition de mieux comprendre la dernière grève générale. En quoi cette grève réinterroge la vision et le rapport que les antillais ont avec leur société ? Qu'enseigne également la perception de ce mouvement social par l'opinion publique hexagonale tel que les médias la traduise ? Que révèle aussi le traitement médiatique de ce mouvement social ? Et plus pertinent, ici, que dire du traitement politique aujourd'hui des DOM ? Je ne vais pas délier ces questions. Pour notre blog ce n'est qu'une partie de notre réflexion. A la différence de ce qui était dit en Conférence, nous rajouterons la dimension religieuse. Mais une chose à la fois.
Pour commencer il faut rappeler deux éléments fondamentaux indispensables pour avancer. Le premier est que le mouvement social est un acte fondateur de l'antillanité. Le second, qui découle du premier, est la permanence d'une tension forte, paradoxale, entre la France et les Antilles. Ces deux points sont essentiels car plus que la dernière grève ils permettent de comprendre souvent (pas toujours) les représentations des antillais et certaines attitudes. Personnellement je le revois dans les églises adventistes.
- - Les mouvements sociaux: un acte fondateur des Antilles
En préambule il convient de noter quelque chose que nous n'avons pas le temps de faire maintenant. Toute l'identité antillaise est marquée par l'héritage de l'esclavage. Les interactions entre hommes et femmes, la logique entrepreneuriale, le rapport à l'autorité politique, la vision de l'avenir, et j'en passe, ne peuvent être compris sans faire un détour par l'histoire esclavagiste. Nous ne le ferrons pas mais il est important d'indiquer l'omniprésence de ce thème qui est le tableau de fond, le soubassement, le terreau invisible aux conséquences permanentes et concrètes qui forment l'identité antillaise, et plus la société antillaise.
Ce rappel fait, répondons à l'ensemble portées par le thème de notre rencontre. L'actualité a zoomé sur les Antilles et au mieux sur le mouvement social de 1967 qu'a connu la Guadeloupe. Mais ce regard est très partiel voir parcialiste. Il permettait de considérer les mouvements sociaux antillais et plus particulièrement guadeloupéens comme des prémices aux mouvements sociaux antillais. Le déplacement d'Oliver Besancenot porta certainement ce souhait. Permettez-moi de signaler qu'il s'agit là d'une vision instrumentale des Antilles. Les Antilles ne sont pas l'anti-chambre de la France. Ce n'est pas prendre en compte toute la complexité du mouvement social antillais avec ses particularités. Et puis, avec quelle éthique penser qu'un groupe peut être l'espace d'expérimentation, des rats de laboratoires de luttes pour d'autres. Il y a pour moi que des anomalies éthiques à cela. Je ne crois que le peuple antillais soit le brouillon d'une œuvre social qui se déroulera en France. Ceux-ci le différencient des conflits sociaux français.
Cette manière de considérer le conflit social comme d'une pré-révolution oubliait ou nie un fait central de l'antillanité : les Antilles sont nées du conflit social. L'abolition de l'esclavage fut en grande partie due aux grèves de zèles des esclaves, aux incendies dans les plantations, aux marronnages d'esclaves, aux insurrections, aux meurtres de maîtres, brefs des conflits sociaux qui ont rendu non viable l'économie esclavagiste et a obligé les mouvements philosophiques, politiques, a reconsidérer l'exploitation du nègre et a promulguer sur le papier la fin de l'esclavage. La protestation sociale est donc un acte constitutif de l'identité antillaise. Mais attention n'en déduisons pas que les Antilles sont des terres permanente du conflit social. Nous disons simplement que le contexte historique qu'était l'esclavage a obligé des individus à protester socialement pour acquérir officiellement le statut d'être humain et mettre en déroute l'industrialisation d'humains par d'autres humains. Notons pour ce qui est des Antilles que le rapport de force a surtout été très important en Guadeloupe où les troupes napoléoniennes ont matés dans le sang différents soulèvements. Le plus célèbre marquera la mort d'Ignace et Delgrès en Basse-Terre. La cruauté alla jusqu'au meurtre de la Mulâtresse Solitude, cette femme révolutionnaire, primipare si je ne me trompe pas (à vérifier), qu'on laissa accoucher et que l'on tua après la naissance de sa progéniture. De tel faits et méfaits marquent l'inconscient collectif. Ils tissent un pattern. Ils modèlent un mode de communication qui devient le cadre d'échange permanent entre ceux qui se sentent porteurs de la mémoire de la souffrance subits et ceux qui sont représentés comme responsables d'une non prises en compte de cette souffrance. Ceci permet d'introduire le second point.
- - L'établissement d'un rapport conflictuel avec la France
Un deuxième rappel est nécessaire. Je mettrai l'accent sur la Guadeloupe puisque ce fut l'épicentre et le point de départ des mouvements sociaux. Ce zoom se justifie par le fait que la Guadeloupe, certainement marquée par les meurtres napoléoniens a développé une résistance physique plus grande que la Martinique. Rappelons que pour effrayer les esclaves de la Martinique et rassurer les colons, Bonaparte envoie le Général Richepance en personne reprendre la Guadeloupe qui était passée sous domination anglaise. C'est d'ailleurs lui qui organisera la tuerie de Delgrès. Il mettra la guillotine sur les places et fera couler le sang. Avant, profitant de la domination anglaise l'abolition de l'esclavage avait été prononcée en Guadeloupe et pas en Martinique restée sous domination française. C'est sous domination anglaise que l'Île eut un important essor économique. Le port de Pointe-à-Pitre fut durant cette période fondée. Sous domination française la Guadeloupe dépendait administrativement de la Martinique et ne bénéficiaient pas d'infrastructures pour un développement déconnectée de la plantation. C'est sous la domination anglaise que le Port du Moule conçue pour la réception des négriers perdue de son prestige au profit du nouveau port de Pointe-à-Pitre. Ce dernier était conçu pour le transport des marchandises manufacturées.
Avec l'arrivée de Richepance c'est donc le développement de la terreur au détriment du développement économique. Ce dernier s'établi dans la construction d'une dépendance économique vis-à-vis de l'hexagone. Richepance veilla à ce que la Guadeloupe eut le moins d'autonomie possible de façon à enlever toute capacité de soulèvement, quitte à ce que l'Île n'ait pas de développement et d'autonomie économique. Je dis cela en clin d'œil déjà à l'idée selon laquelle les Antilles dépendent volontairement, sur le plan économique, de la France. En 1802 deux ans avant qu'Haïti premier Etat nègre indépendant dans une guerre contre la France, Napoléon foulait les valeurs des lumières aux Antilles pour fabriquer des sous hommes dans la Caraïbe. Je profite de l'occasion pour dire qu'ici, on ne peut pas reprocher aux nègres de ne pas voir en Napoléon l'immense être humain qu'un Max Gallo et tant d'autres proclament. Dans son livre le Crime de Napoléon, Claude Ribbe développe d'ailleurs, magistralement les tueries et autres crimes dont l'Empereur fut coupable envers les nègres. Notez que l'Homme du Code civil qu'était Napoléon fut aussi l'Homme du Code Noir. Il s'empressa de rétablir ce dernier en 1802 après son coup d'Etat. Cela dénote que d'un côté on reconnait et réglemente les droits et devoirs qu'auraient certains hommes, tout en refusant à d'autres, nègres, esclaves, les mêmes droits. Cette logique perdurera et perdure encore quad il s'agit du monde nègre et en particulier l'Outre-mer dans la République.
Le rapport de la France à ses colonies de la Caraïbe se construit très tôt dans un contexte de tensions où les colonisés ont le sentiment d'être déconsidérés. L'histoire de la lutte sociale antillaise va renforcer ce sentiment. La dernière grève avec le départ du secrétaire d'Etat à l'Outre-mer et les revirements de ce dernier, ne sont pas là pour faire changer les choses. Surtout elle s'inscrit dans un schéma déjà écrit par l'histoire et duquel on ne semble pas s'en sortir. Voyons autour d'exemples fort ce schéma dont les deux éléments sont le conflit et la méfiance.
Cette histoire démontrera que la dernière grève, contrairement à ce qui est dit, n'a pas d'aspect particulier, mais s'inscrit dans une continuité des rapports sociaux. Cependant reconnaissons une intensité plus forte que précédemment. Si une continuité existe, il faut donc se poser la question de la pertinence du vocabulaire de « Crise » qui est pris en permanence et surtout de « Crise identitaire / Crise sociétale (Y. Jégo, Secrétaire d'Etat à l'Outre Mer). Tout cela nous en reparlerons paisiblement dans la prochaine note... Ne vous inquiétez pas, nous glissons doucement vers la place du religieux.
12:42 Écrit par fades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : grève en guadeloupe, lkp, guadeloupe, grève aux antilles, eli domota, histoire sociale de la guadeloupe, historique des grèves en guadeloupe | | Facebook