Rappelez-vous, le 6 mars Le Conseil d'Etat rejette la requête présentée par l'association United Sikhs demandant la suspension de la circulaire du Ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer du 6 décembre 2005 qui prescrit la fourniture d'une photo tête nue pour l'établissement ou le renouvellement d'un permis de conduire. Voilà qui suscite quelques questions.
Les Sikhs sont connus pour ne pas entraver l’ordre social. Leur choix religieux de recouvrir la tête ne posait pas jusqu’à la nouvelle réglementation sur les signes religieux de problème. Il me semble que le rejet de la demande des Sikhs de ne pas se laisser photographier tête nue pose différentes questions ?
- Que peut porter de nouveau une photographie tête nue ? Soyons concrets. Pourquoi des individus que nous arrivions à reconnaître parfaitement il y a quelques mois, ne seraient plus reconnaissables désormais ? C’est la loi qui guide nos yeux, qui aide nos cerveaux à décrypter les particularités d’un visage ?
- L’acceptation des Sikhs de jouer le jeu de la République ne se trouve pas récompensée, sous prétexte de laïcité. N’est-ce pas le contraire de l’espace commun des différences que doit permettre la loi ? Bien qu’il soit délivré par le Ministère des Transports, le permis de conduire demeure un document administratif avec des caractéristiques personnelles. L’individu n’est certes que son détenteur, mais il s’y associe, s’y identifie. Comment peut-on alors demander à un individu, dont le visage est largement indentifiable (là est une différence fondamentale avec la question du voile), d’avoir tantôt un regard sur lui la tête légèrement couverte, et tantôt une acceptation de soi qui passe par une identité qui n’apporte rien de plus à son identification ?
- L’Etat est-il crédible ? Le permis de conduire n’est pas un espace commun. Comment arriver à croire qu’il peut être soumis, encore une fois pour des individus que l’on peut facilement identifier sans se tromper, à l’obligation d’une photo tête nue ?
- Il ne faut pas se cacher, que les influences paranoïaques du 11 septembre et sur le monde musulman sont sous-jacentes à cette nouvelle réglementation. Si par ailleurs il ne faut pas nier qu’il faille traiter ces deux problèmes, ce n’est pas en faisant supporter à des individus qui ont jusqu’ici, plus que de nombreux jacobins acceptés les contraintes et les joies de la laïcité, les phobies de notre temps, que les problèmes vont se solutionner.
Je crains que bientôt on demande aux Rastas de se raser le crâne pour être identifiés. En tous les cas, bien qu’absurde une telle proposition serait en droite ligne avec l’injustice que subit les Sikhs. La chevelure de nombres Rastas pratiquants, forme une coiffure religieusement connotée. Et la barbe !! Pourquoi figurerait-elle sur une photo officielle. Certains diront qu’il s’agit d’un élément naturelle et non d’un accessoire. A ceux-là, il suffit de conseiller de simplement se demander pourquoi tous les noirs n’ont-ils pas une chevelure de type rastafari. Plus que l’accessoire c’est le sens que nous donnons à une pratique qui l’emporte. De fait, de façon à ne pas tomber dans l’esclandre, de grâce, moi qui suis noir, non sikhs, je plaide pour que l’on laisse aux sikhs la chance de continuer à nous démontrer que la République est un espace où le vivre ensemble dans les différences est possible
Pour info : http://perso.wanadoo.fr/droitdesreligions/
Ordonnace commenté du jude : Document en wrd
Commentaires
De la liberté au Canada, du port du poignard Sikh à l’école
A propos de l’affaire Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys
Dans une décision rendue à l’unanimité le 2 mars 2006, les huit juges de la Cour suprême du Canada ont accordé au jeune Gurbaj Singh Multani (âgé de 12 ans au moment des faits) le droit de porter à l'école le kirpan, un poignard dans la religion sikhe, remis au moment du baptême,
la Commission ontarienne des droits de la personne , qui soutenait le jeune Multani, prônait une approche équilibrée entre la liberté religieuse et la sécurité, comme elle l’avait fait il y a quinze ans dans le cas Pandori c. Peel Board of Education. Selon cette Commission, il fallait pour justifier le refus de mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses prouver qu’il existait des difficultés excessives, au lieu de supputer sur ce qui pourrait arriver.
Dans le cas Pandori, un tribunal des droits de la personne et la Cour divisionnaire de l’Ontario avaient convenu que le personnel, les élèves ainsi que les enseignantes et enseignants devaient être autorisés à porter un kirpan en autant que celui-ci avait une taille raisonnable, et était porté sous les vêtements et attaché par un rabat piqué pour qu’il ne soit pas possible de le sortir du fourreau. Depuis que cette décision a été rendue, aucun incident relevant d’une utilisation à mauvais escient du kirpan n’a été signalé dans les écoles ontariennes.
Dans sa décision, la Cour suprême a retenu que : « La tolérance religieuse constitue une valeur très importante au sein de la société canadienne…En faisant abstraction du droit à la liberté de religion et en faisant valoir la sécurité dans l’école – sans étudier les solutions de rechange qui ne posaient que peu ou pas de risques –, la Commission scolaire a rendu une décision déraisonnable. »
Cette décision annule ainsi un jugement de la Cour d'appel du Québec rendu il y a deux ans, qui entérinait une décision de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys..
Les juges ont en l’espèce estimé qu'il n'y avait pas de preuve suffisante que la présumée atteinte à la sécurité justifiait une restriction de la liberté religieuse, puisque le jeune Multani n'avait jamais fait preuve d'un comportement agressif ou violent. Le jugement affirme d’ailleurs qu'il existe d'autres objets potentiellement dangereux à l'école, comme des bâtons de baseball ou des ciseaux.
Rappelons qu’en France, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris, dans un arrêt rendu le 19 juillet 2005, a confirmé la mesure d’exclusion définitive d’un lycéen, pour ne pas avoir respecté la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. En l’espèce, l’adolescent, de confession sikh, s’était présenté lors de la rentrée scolaire 2004 avec un sous-turban, d’une dimension plus modeste que le turban traditionnel et de couleur sombre. Mais la CAA ne lui a pas reconnu le caractère de signe discret.
Texte de la décision
http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/en/rec/html/2006scc006.wpd.html
Sébastien Lherbier-Levy
Merci Seb pour tes info toujours aussi précises. C'est là la marque du juriste !
Pour lire un intéressant commentaire de la décision du CE, 5 décembre 2005, M. Mann Singh, je vous indique l’adresse du site de David BIROSTE, webmestre de LPJF.NET et A.T.E.R. en droit public (Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence).
http://site.voila.fr/lpjf
A lire également, le dossier « La Laïcité »
Dans sa dernière livraison Le Monde des religions propose de redécouvrir les Sikhs. Dans un article type Géo, Djénane Karel Tager présente la diversité Sikh. Outre celle-ci, l’auteur montre la diversité des liens que les sociétés tissent avec les Sikhs. Celui-ci semble directement dépendre du rapport au religieux en général. Différents Etats américains ont aménagés leur législation pour les Sikhs, tandis qu’au Canada les élèves Sikhs sont autorisés à aller en cours avec un petit Kirpan ou poignard. La France fait en ce sens cavalier seul.
A voir pour découvrir la foi Sikh et le peuple qui la porte, Le Monde des religions, Mai - Juin 2006, 17, pp. 50-54.
Tout ceci est très vrai et fort sage, mais vous négligez une dimension symbolique qui est très forte en France et qui, bien que (relativement) irrationnelle, ne reste pas moins essentielle à notre capacité à vivre ensemble : le principe d'égalité absolue devant la loi. C'est bien sûr un principe qui existe aussi à l'étranger, mais nulle par ailleurs il n'a à ce point un rôle fondateur.
...Pourquoi un Sikh aurait-il le droit de porter un poignard à l'école au nom de sa religion, alors qu'il m'est interdit à moi d'y apporter un canif ? Ou bien dois-je créer une religion pour qu'on m'y autorise ? Cela signifierait que, par un choix personnel (celui de l'obédience religieuse), quelqu'un aurait la capacité de s'affranchir d'une règle qui s'impose à tous : c'est précisément cela qui est symboliquement inacceptable.
Entendons-nous bien, je sais que la position que vous décrivez est bien plus raisonnable et sage, mais ce principe de réalité néglige la dimension symbolique qui fonde le sentiment d'appartenance à la communauté nationale, et qui permet donc le "vivre-ensemble" ; ignorez ce ciment et vous réveillerez les égoïsmes individuels.
N'oubliez pas que la France ne s'est formée ni par la force, ni par la domination culturelle d'une ethnie ; sa culture n'est ni du Nord, ni du Sud de l'Europe, ni latine ni germanique, ni continentale ni océanique, ni catholique ni protestante ; il y a plus de différence entre un Breton et un Alsacien qu'entre un Serbe et un Croate... Tout ceci n'a pu "tenir" ensemble que grâce à la foi dans l'idéal d'une Loi élaborée par tous (depuis 1789, du moins) dans l'intérêt de tous, et applicable à tous sans exception. Certes, comme tout principe idéal, il y a fort loin d'ici à son application ; mais comme toute principe fondateur, il ne serait tout simplement pas raisonnable de l'ignorer.
« N'oubliez pas que la France ne s'est formée ni par la force, ni par la domination culturelle d'une ethnie ; »
C'te bonne blague ! Elle n'a pas interdit les patois, elle n'a pas promulgué le code de l'indigénat…
Et on pourrait relever un certain nombre d'autres perles : l'égalité devant la loi qui serait « symbolique » (ainsi elle n'a pas besoin d'être réelle ; il suffit qu'elle oblige tout le monde à montrer ses cheveux, après toutres les discriminations sont permises… )
J'ignorais que le sentiment d'appartenance national se fondait sur la coiffure.
Cher Actustragicus,
Vous devinez aisément qu’en prenant l’exemple des Sikhs, qui est loin d’être provocateur puisque relatant des réalités humaines, j’espérais bien avoir des réactions comme la votre, permettant de susciter le débat. C’est fait et je vous en remercie.
Finalement, vous posez la question de l’égalité de traitement entre individu en France, en rappelant que c’est une perspective ancienne, héritée de l’idéal révolutionnaire, loin d’une domination culturelle quelconque. Vous nous sensibilisez également sur le symbolisme que renferme cette posture.
Le concept d’égalité que vous mentionnez est ici évidemment connecté au contexte de la laïcité française. Je ne développerai pas ses formes d’expression, d’émergence et d’antagonisme, car Jean Baubérot (http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com) le fait depuis plusieurs années aisément. Un coup d’œil sur son dense blog serait idéal. Toutefois, loin de références livresques quelques précisions sont importantes, car le débat sur l’égalité républicaine, reste toujours marqué de confusions, ou plus précisément de raccourcis.
Premièrement il n’est pas évident d’affirmer l’influence d’une domination culturelle ne s’est pas fait sentir dans l’histoire française. Bien plus qu’une influence ethnique, qui elle est claire, l’histoire de la France est sans cesse rythmée par les apports, souvent violents, de la domination culturelle bourgeoise. Attention, il ne s’agit pas d’une vision marxiste, manichéenne du monde, mais un simple constat comme le fait Pierre Bourdieu que la langue française, les normes juridiques, la logique scolaire, ou encore l’espace politique, sont des lieux non exhaustifs de l’influence des normes bourgeoise. Au-delà des critiques évidentes (écrasement des particularismes régionaux), notons que cette influence bourgeoise permit l’émergence d’une uniformité facilitant notamment la rédaction de textes législatifs et leur diffusion. Cela renvoie à la remarque ironique de Cobab. De fait, bien qu’il faudrait donner des contres exemples pour équilibrer le discours, l’émergence de l’idée d’un Etat-Nation n’est pas étranger à l’influence bourgeoise. Cette même influence bourgeoise est à l’origine d’une violence symbolique. Elle devient une contrainte sournoise érigée en modèle que l’on adopte souvent dans une logique d’ascension sociale. C’est particulièrement le cas dans les espaces colonisés et dans les catégories les plus pauvres de notre société. Tout cela pour dire, que l’on ne peut pas affirmer l’absence d’influence particulière dans l’émergence de l’idée d’égalité comme souvent cela est affirmer.
Ceci peut paraître comme un détail, mais renverse un présupposé majeur dans les mythes fondateur d’une identité nationale, hors de toute influence, parfois stratégique. Et tel est le cas pour la question religieuse de manière partielle.
Deuxièmement, L’égalité est souvent, comme vous semblez le faire, connectée à l’uniformité. Il est conceptuellement difficile d’affirmer que la même question, le même problème, peut trouver toujours la même réponse, dans des situations sociales diverses. Ainsi pourquoi vouloir forcer des individus qui eux donnent depuis des siècles une importance religieuse à un objet, à désormais avoir une relation à cet objet identique à celle que développent des individus qui n’accordent pas la même importance au dit objet ? Ici on voit bien un effet pervers du slogan Egalité = uniformité de traitement. Il y a aujourd’hui en France, une véritable difficulté, essentiellement d’ordre idéologique, à déconnecter l’égalité de l’uniformité concernant le fait religieux. Le cas Sikh en est un révélateur puissant autour de leur poignard. Poser la question de la liberté Sikh et concevoir au moins hypothétiquement sa réalité, n’entrave pas un principe fondateur largement fantasmé, même s’il reste noble.
Troisièmement, vous faites allusion au symbolisme en notant sa forme irrationnelle. Cependant c’est oublier que le symbolisme est loin d’être irrationnelle. La sociologie a depuis longtemps acquise qu’il y a une véritable rationalité symbolique avec ses propres caractéristiques. Dans l’exemple Sikh il est rationnel me semble t-il que chaque individu, dans sa lignée croyante, accède à sa pratique religieuse, si celle-ci ne met pas en cause l’intégrité de tiers et de soi. Et pour les Sikhs c’est le cas. Vous connaissez des Sikhs qui ont poignardé un camarade scolaire ? Très éloigné de la foi Sikh, je constate simplement qu’ils n’ont jamais fait la une de journaux à ce sujet. Vous demandez : « Pourquoi un Sikh aurait-il le droit de porter un poignard à l'école au nom de sa religion, alors qu'il m'est interdit à moi d'y apporter un canif ? Ou bien dois-je créer une religion pour qu'on m'y autorise ? Cela signifierait que, par un choix personnel (celui de l'obédience religieuse), quelqu'un aurait la capacité de s'affranchir d'une règle qui s'impose à tous : c'est précisément cela qui est symboliquement inacceptable ». La véritable question est : « qu’est-ce que signifierait pour vous porter un poignard avec tous les autres éléments symbolique du Sikh ? ». Personnellement je ne connais pas le sens religieux du canif ! Je n’ai jamais vu un sikh se battre pour porter une croix ? Pourquoi si cela n’a pas d’importance pour vous, obliger des Sikhs, reconnus par leur discrétion, de s’en défaire, alors que cela relève pour eux d’un profond sentiment religieux ? La république ne devrait-elle pas être un espace permettant à chacun, dans ses gestes quotidiens, de répondre concrètement à son besoin d’expliciter ses croyances et pratiques religieuses ?
Une chose est vraie, la question Sikh renvoie la question de l’altérité dans une forme très surprenante. Nombreux parents se demandent en me lisant : et si le couteau sikh était saisi par un enfant non Sikh, dans la joie enfantine, pour en faire un objet dangereux. C’est là que les exemples Canadiens et Américains sont intéressants, car ils sont arrivés, pour l’instant, à trouver des espaces, des formes d’expression du religieux Sikh qui respecte l’évidente exigence de sécurité. Voilà qui montre que le vivre ensemble est possible même dans ce cas.
Ceci dit, comme l’indique notre échange et surtout la dernière remarque de Cobab, ne glissons pas de la question religieuse à la question de la reconnaissance nationale. Moi le premier, je me laisse vite avoir par cette tentation. Il est question d’une pratique religieuse et non de la question nationale même si les ponts sont évidents. Il ne faut donc pas résoudre à ce plan la pratique Sikh. Qu’en est-il d’un drapeau ? Des couleurs et des motifs sur un tissu qui représentent une nation ! Evitons les raisonnements par l’absurde, surtout dans le religieux, monde de symboles forts
gloire à toi cousin Fabrice !!
Pas d'analyse sociologique, juste pour t'encourager dans tes recherches; Thomas et moi avons lu ton blog.
Il manque les photos de nos églises de Pointe-noire......
Fos !!!
Merci, mais il fallait me laisser votre mail. Envoyez moi les photos des églises de Pointe-Noire.
Bises à toute la famille. Et bon courage dans vos engagements.