Faisons de mauvaise fortune bon cœur. L'équipe de France perd la finale, mais ils nous ont entrainés dans une saga remarquable. Retenons celle-là. Sinon, quelques questions peuvent être posées aux réactions provoquées par l'évènement. S'il y a une chose que ce parcours inattendu a montré, c'est la difficulté à analyser un groupe, sans avoir un regard de l'intérieur sur ce dernier. Les critiques sur le sélectionneur, et l'incrédulité ambiante au début de la coupe du Monde, marquent bien, l'incompétence générale concernant le foot. Finalement, ce n'est pas pour rien qu'il n'y a qu'un seul sélectionneur et non 65 millions ! Voilà qui doit faire réfléchir les analystes du religieux qui se cantonnent de données extérieurs à un groupe religieux pour le catégoriser (le lien est facile, je succombe).
Attention, je ne dis pas qu’il faille uniquement vivre avec, ou être d’un groupe, pour porter un regard critique sur lui. Je défends l’idée qu’il est impossible d’avoir un regard construit objectivement, en restant à l’extérieur du vécu de ce groupe. Ce n’est qu’ainsi que l’on évite de faire ce que Cliffort Geertz, appelle le cannibalisme ethnologique. Combien de fois, des individus avec leur méthode d’analyse, leur discours préconstruit hors d’un vécu avec les individus qu’ils prétendent étudier, ne font qu’écraser la réalité construite au sein du groupe en question, pour faire passer leur propre représentation.
Un exemple me vient à l’idée : celui des enquêtes par questionnaire sur l’intégration. A Roubaix où celles-ci sont régulièrement faites par des organismes européens, des universitaires, des administrations, nous pouvons retrouver des perles. Par exemple il est commun d’observer des questions ayant pour but de rendre compte de la présence, ou de l’absence, d’un rattachement à l’identité nationale ou européenne chez des populations arabes. Les questionnaires sont si mal réalisés que l’individu est obligé de cocher une case qui ne correspond pas à son vécu en se désignant comme ayant une identité proche avec son "pays d’origine". Pourtant les individus ne se posent jamais les questions avec la perversité de ces questionnaires. Ils se sentent souvent français et enrichis par la culture du pays dont est né un parent, bien souvent éloigné dans la généalogie. La question même d’un repère identitaire ne se pose pas, car ils sont depuis des générations installés dans le nord de la France. Mais s’avouer cela impose au chercheur sur l’intégration de se poser la question sur le décalage entre sa France fantasmée et la France réelle dont l’individu en face de lui est une compose à part entière.
Les individus sont loin d’être naïfs à la soumission de ces enquêtes qui prolifèrent. Ils deviennent des enquêtés spécialisés. Ils voient entre les lignes les fantasmes politiques et scientifiques. Ils jouent le jeu. Ils remplissent les cases comme le souhaite l’enquêteur pour sa plus grande satisfaction. Eux, les enquêtés savent bien qu’ils ont joué une partition, qui peut-être, amènera des crédits dans leur ville et éventuellement, des investissements qui déboucheraient sur un mieux vivre. Finalement à force de demander au stigmatisé de parler du stigmate, il donne le sentiment, en conscience, d’être stigmatisé conformément à ce qu’attend le stigmatiseur. Mais malheureusement comme se sont les représentations du décideur qui forment les contours de la discrimination, la stigmatisation virtuelle devient réelle et le stigmatisé prend une existence sociale dont il est la victime.
Comme pour l’équipe de France si décriée, ce n’est qu’en cassant le stigmate, la discrimination dont il est victime, que les stigmatisés peuvent espérer sortir par le haut et non par l’apport d’individus de passage qui viennent parler d’une réalité sociale qu’ils aperçoivent, mais ne voient pas. Car, pour la voir, il faut l’avoir, c’est-à-dire la vivre ou vivre avec ceux qui la portent. Le religieux gagnerait à l’émergence d’un tel regard affranchi des préconceptions et aguéri par un vécu avec les acteurs. Mais évidemment comme cette simple précaution demande un investissement permanent de sa personne, il reste à craindre la prolifération de ce que j’appelle par vilain jeu de mots : des chercheurs adventices, en référence à mon terrain l’Eglise Adventiste et les plantes parasites, les adventices. A ne pas confondre évidemment.