Au début du XIX ème siècle, l’espérance biblique du retour du Christ est oubliée. Pour deux raisons. Pour les critiques de la Bible, c’est un livre suranné, sans historicité, et dans le monde chrétien, on croit être à la veille d’un millénaire de paix universelle (lire la note précédente). A contre courant de cette atmosphère générale, des commentateurs bibliques examinent les prophéties avec une grande intensité. Ils arrivent à une conclusion bouleversante : le Christ va bientôt revenir. Pour répandre la nouvelle, personne ne saura mieux captiver l’attention des foules que l’américain William Miller (1782-1849), un invraisemblable candidat pourtant au départ. C’est le moins que l’on puisse dire.
La religion au rebut
William Miller est l’aîné d’une famille de fermiers de seize enfants. Il voit le jour en 1782 à Pittsfield dans le Massuchetts mais il grandit à Low Hampton, dans la région rurale de l’état de New-York. Il apprend à lire sur les genoux de sa mère, Paulina. De neuf à quatorze ans, son temps se partage entre les travaux de la ferme et l’école du district d’East Poultney. C’est un garçon studieux, qui aime la lecture, mais il sait très tôt que les contraintes financières de sa grande famille lui interdisent de poursuivre les hautes études qu’il souhaiterait faire. Néanmoins, il lit tout ce qui lui tombe sur la main, jusqu’à une heure avançée de la nuit. Grâce à l’amabilité des notables de son voisinage, il emprunte des livres. Sa grande passion est l’histoire.
Durant son adolescence, William traverse une crise d’identité – propre à beaucoup d’adolescents. Il se rebelle contre la religion. Il se moque des prédicateurs. Pourtant, son grand-père, Elthanan Phelps, et son oncle, Elihu Miller, sont des pasteurs baptistes. Il est vrai que ses camarades sont déistes. Ils jugent la Bible démodé. Ils s’expriment aggressivement contre Dieu. Rongé par le doute, William trouve le Livre rempli d’incohérences et de contradictions. Pour lui, c’est un ensemble d’écrits hétéroclites... humains mais pas divins.
En 1803, Miller se marie à Lucy Smith de Poulney dans le Vermont. Il y achète une ferme. Ce changement de résidence le met en contact avec l’intelligentsia déiste et la bibliothèque publique de la communauté. « Ils placèrent entre mes mains, écrira-il, les oeuvres de Voltaire, Hume, Paine, Ethan Allen et d’autres écrivains déistes ». Pendant douze ans, Miller sera un déiste, un franc-maçon, un shériff et un gardien de la paix. En 1810, il est élu lieutenant de la milice du Vermont. Sa ferme prospère. Sa vie semble réussie à tous points de vue.
La conversion de Miller
En 1812, l’univers bien agençé de Miller s’écroule. Une guerre contre l’Angleterre éclate. Il est promu capitaine de la milice. En 1815, il est capitaine d’armée régulière. Mais le conflit ébranle ses certitudes. Les déistes croient à la bonté humaine. Les atrocités de la guerre et sa connaissance de l’histoire le persuadent du contraire. Pour les déistes, la mort est une fin définitive. Cette idée le repousse fortement, d’autant plus qu’en l’espace de trois jours au début de la guerre, une de ses soeurs et son père sont des victimes civiles.
A la fin de la guerre, en 1815, à la bataille de Plattsburg, l’armée américaine de 1500 soldats et de 4000 volontaires remporte, contre toute attente, une surprenante victoire contre l’expérimentée armée anglaise de 15000 hommes (parmi eux, des vétérans avaient vaincus l’armée de Napoléon). Miller se dit qu’il doit y avoir un Dieu là-haut. Il retourne à Low Hampton auprès de sa veuve de mère. Il achète une ferme. Il quitte le déisme et la franc-maconnerie. Il assiste aux services religieux de son oncle Elihu.
Miller lit la Bible ! Il met en suspens ses préjugés, « anxieux de savoir comment un livre non inspiré pouvait développer des principes aussi parfaitement adaptés aux besoins d’un monde déchu ». En 1816, il se rend à l’évidence : « Les Ecritures doivent être une révélation de Dieu ». Réjoui par cette conclusion, il fait cette double confession : « La Parole de Dieu devint mon régal et en Jésus je trouvai un ami ». Sa volte-face résulte de son expérience avec Dieu : « Pour moi, la Bible est maintenant un nouveau livre. C’est un festin de la raison ».
Une étude serrée de la Bible
Miller est immédiatement ridiculisé par ses anciens amis déistes. Comme il n’est pas un homme à faire les choses à moitié, il entreprend une étude systématique de la Bible, verset par verset, pour fortifier sa foi et répondre aux questions de ses détracteurs. Il progresse durant sa lecture uniquement après avoir trouvé une réponse satisfaisante. Il suit méthodiquement des règles d’interprétation de la Bible fidèles aux principes protestants de Sola Scriptura, « l’Ecriture seule, rien d’autre ». Je résume ici :
1. La Bible est son propre interprète.
2. Chaque parole de l’Ecriture est nécessaire. On peut la comprendre en s’appliquant à une étude diligente.
3. Pour comprendre une doctrine, il faut étudier tous les versets qui s’y rapportent.
4. Rien n’est pas caché à celui qui demande à Dieu avec foi.
5. Dans la Bible, les mots doivent être compris dans leur sens le plus évident.
6. Dieu révèle les choses à venir par des visions, des symbôles et des paraboles. Pour les comprendre, il faut les combiner.
7. Dans une prophétie, les symbôles représentent des entités, des unités de temps et des évènements futurs.
8. Un symbôle a parfois plus d’une seule signification. La construction de la phrase détermine son sens le plus évident.
9. Une parabole est une illustration ou une comparaison. Elle doit être expliquée de la même manière.
10. Un évènement historique est l’accomplissement d’une prophétie s’il correspond à chaque mot de la prophétie. Si un mot ne sait pas réalisé, il faut attendre sa complète réalisation ou considérer un autre évènement.
Voilà le vrai William Miller ! Un homme qui interprète les Ecrtiures en suivant soigneusement des règles simples, claires et cohérentes, qui se munit de sa Bible et de sa concordance – c’est tout – car il ne veut pas être influencé par des théories humaines, qui de manière besogneuse décortique le texte, qui prie pour demander à Dieu de l’éclairer, mais qui ne se permet aucune fantaisie, spéculation et liberté avec le texte. Il est d’une extrême prudence !
Mais à ses yeux, la règle la plus importante, c’est la foi dans le Dieu de la Bible. L’accomplissement remarquable des anciennes prophéties est pour lui, le féru d’histoire, une évidence que Dieu existe, qu’il intervient dans l’histoire humaine, que la Bible est sa Parole inspirée et qu’il l’a préservée intacte à travers les siècles. La Bible est la vérité parce que Dieu est la vérité. Il ne ment jamais ! On peut lui faire confiance. Les prophéties à venir se réaliseront aussi. Miller prend donc la Bible au mot. L’ancien sceptique ne veut plus goûter aux eaux frelatées de la philosophie humaine. Sans Dieu au centre du raisonnement, c’est une voie d’égarement et de déception. Il veut boire à la vraie source de la sagesse et de la connaissance. Il fait sien les paroles de l’apôtre Paul qui rejetait les spéculations des philosophes grecs :
« Nous, nous prêchons un Christ mis en croix. Les Juifs crient au scandale. Les Grecs, à l’absurdité. Mais pour tous ceux que Dieu a appelés, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Christ que nous prêchons manifeste la puissance et la sagesse de Dieu. Cette « folie » de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes ». (1 Corinthiens 1.23-25)
L’incroyable découverte
En 1818, Miller fait la découverte de sa vie. En étudiant la prophétie, « 2300 soirs et matins puis le sanctuaire sera purifié » de Daniel 8.14, il il conclut que le sanctuaire représente l’Eglise chrétienne. Il pense que la terre sera purifiée lors du retour du Christ. Comment arrive-t-il à ce raisonnement ? C’est tout simple. Comme d’autres commmentateurs bibliques, il a noté une connexion entre la période prophétique des « 70 semaines » qui annonce à l’avance la première venue du Christ (Daniel 9.20-27) et la période prophétique des « 2300 soirs et matins » qui annonce quoi ? mais oui bien-sûr, se dit-il, la seconde venue du Christ. Selon ses calculs, la date aboutit aux alentours de 1843. C’est un choc !
Cette conclusion le remplit de joie et d’appréhension. Il y a la peur obsédante que ses calculs soient faux mais aussi un sentiment d’immense responsabilité car il faut avertir le monde s’il s’avère que ses conclusions sont correctes. Entre 1818 et 1823, Miller les met toutes à l’épreuve sans en parler à personne. Il repasse dans sa tête toutes les objections possibles qui pourraient les réfuter. Mais vers septembre 1822, sa conviction est établie : Jésus reviendra dans une vingtaine d’années. Nous savons bien-sûr que Miller s’est trompé mais cette erreur sera providentielle. Dans une prochaine note, nous expliquerons pourquoi.
La conscience de Miller le travaille mais il résiste de toutes ses forces à l’idée d’en parler. Il dira prudemment quelques mots à des amis et à des pasteurs, espérant qu’une personne plus qualifiée ressente le désir d’annoncer la nouvelle. A sa grande déception, personne ne manifeste vraiment de l’intérêt. Le 4 novembre 1826, il reçoit même un rêve au cours duquel Dieu promet de le bénir s’il avertit le monde. Mais il se tait, tétanisé à l’idée de se présenter en public avec un message aussi impopulaire. Il rationalise les choses. Après tout, il n’est pas un prédicateur, ni un théologien. Il ne va rien dire ! Seul un coup pouce de la providence pourrait inciter ce messager récalcitrant à changer d’avis et, comme nous le verrons, c’est exactement ce qui arrivera.