Après treize longues années de silence, en 1831, William Miller commence enfin à annoncer la nouvelle du retour du Christ. Il reçoit beaucoup d’invitations à prêcher mais c’est un homme seul. Son message est mal accueilli par les hommes d’église. Mais après la Panique de 1837 (une sévère dépression économique), les Américains perdent confiance dans la croyance populaire de l’imminence d’un millénaire de paix et de prospérité universelles. Les prix s’effondrent brutalement : de 42% entre 1839 et 1842. A partir de 1838, plusieurs pasteurs – notamment Josiah Litch et Charles Fitch - acceptent le message de Miller sur le retour du Christ.
Pour ne pas créer de confusion dans l’esprit des lecteurs du blog, nous distinguerons désormais deux groupes d’adventistes. Ceux qui précèdent 1844, nous les nommerons les millérites. Nous appellerons leurs héritiers d’après 1844 les adventistes (du septième jour).
Rencontre avec Joshua HimesLe vrai tournant du mouvement millérite se situe le 8 décembre 1839 quand William Miller démarre une série de réunions dans une église de Boston dirigée par Joshua Vaughan Himes (1805-1895), un jeune pasteur de 34 ans. Himes est le fils d’un marchand Indien prospère qui a été ruiné par des associés malhonnètes. Il est très engagé dans l’aide de son prochain. C’est un abolitioniste. Il a fondé plusieurs écoles où l’on reçoit une formation académique et manuelle.
Himes dirige la Première Eglise chrétienne, une congrégation qui fait partie d’un mouvement appelé « la connexion chrétienne ». Les connexionistes ont la particularité de refuser de s’enfermer dans des credo traditionels. Ils veulent revenir à la seule autorité de la Bible. Le millérisme va attirer beaucoup d’entre eux.
Après les réunions, Miller et Himes ont plusieurs conversations. Le jeune pasteur est convaincu de la véracité des enseignements de Miller sur le retour du Christ. A la fin des exposés bibliques, il lui demande :
- Croyez-vous vraiment dans cette doctrine ?
- Certainement, sinon, je le prêcherais pas.
- Que faites-vous pour la répandre et la diffuser à travers le monde ?
- J’ai fais, et je fais toujours, tout ce que je peux.
- Pourtant la chose demeure toujours dans un coin. Il y a peu de connaissance sur le sujet après tout ce que vous avez fait. Si le Christ doit revenir dans quelques années comme vous le croyez, aucun temps ne doit être perdu en avertissant l’Eglise et le monde de manière assourdissante, les incitant à se préparer.
- Je sais, je sais, frère Himes. Mais qu’est-ce qu’un vieux fermier peut faire ? Je n’ai jamais eu l’habitude de parler en public. Je suis seul ! J’ai beaucoup oeuvré. J’ai vu beaucoup de gens se convertir. Mais jusqu’à présent, personne ne semble entrer dans l’objet, dans l’esprit de ma mission pour de m’offrir de l’aide. Ils aiment m’avoir à prêcher, établir leurs églises. Mais pour l’instant pour les pasteurs, cela s’arrête à cela. J’ai recherché de l’aide. Je veux de l’aide !
Quand Miller explique qu’il ne prêche pas dans les grandes villes parce qu’on ne l’y invite pas, Himes fait une proposition :
- Iriez-vous avec moi là où les portes sont ouvertes ?
- Oui ! Je suis prêt à aller n’importe où, à travailler jusqu’à la limite de mes forces.
Le déclic
Après cette conversation, l’activiste Himes devient le principal organisateur, promoteur et attaché de presse du mouvement millérite. Il lance un campagne médiatique sans précédente pour répandre la nouvelle de la parousie. Le premier journal adventiste, The Signs of the Times (Signes des temps), un bîmensuel ; paraît pour la première fois le 28 fevrier 1840. En novembre de la même année, Himes démarre la publication d’un quotidien à New York, The Midnight Cry (Le cri de minuit), pour la publicité des réunions qu’il présente avec Miller. Dix mille exemplaires sont distribués chaque jour. Quand la campagne de New York s’achève cinq mois plus tard, le périodique devient un hebdomadaire.
D’autres journaux adventistes fleurissent dans plusieurs villes aux Etats-Unis. Une quarantaine sont publiées avant octobre 1844. On y trouve un magazine pour les femmes et une revue pour les savants. Himes ouvre des bibliothèques dans chaque village, dans chaque ville de la Nouvelle Angleterre. On peut y prêter une cinquantaine d’ouvrages qui traitent du retour du Christ. Une liste de chants adventistes est compilée dans un receuil, publié en 1842. Des colis de livres sont envoyés dans tous les Etats-Unis et à travers le monde.
Himes est un vrai génie de l’organisation. En octobre 1840, il institue la première « conférence générale » (réunion) des chrétiens qui attendent le retour du Christ. Jusqu’à 1844, elle sera suivie d’au-moins quinze rassemblements de ce type. Deux cent campeurs y assistent, dont un bon nombre de pasteurs. Le but est de les motiver, de les encourager et d’élaborer des stratégies pour propager la bonne nouvelle. Malade, Miller n’assistera pas au rassemblement. Un mois plus tard, Himes lance le premier camp-meeting à East Kingston dans le New Hampshire. Jusqu’à 1844, plus de 130 camp-meetings seront organisés.
Il faut dire quelques mots sur ces fameux camp-meetings millérites. Ils se déroulent en plein air sous un ou plusieurs châpiteaux. Un véritable objet de curiosité, le plus grand châpiteau – des Etats-Unis - peut acceuillir 4000 personnes. Sa nouveauté attire des milliers d’auditeurs qui viennent écouter William Miller, Joshua Himes, Georges Storrs, Charles Fitch et d’autres prédicateurs millérites. L’ambiance est spirituellement électrisante. Pendant plusieurs jours, on chante des cantiques, on prie, on écoute des enseignements et des témoignages. Si on se trouve à la campagne, les familles dorment sous des petites tentes.
Les particularités du millérisme
A partir de 1840, l’annonce du retour du Christ ne s’appuie plus sur les efforts isolés de William Miller. D’autres prédicateurs millérites silonnent les Etats-Unis de l’époque, c’est-à-dire le territoire à l’est de la frontière naturelle du Mississipi (le nord-est et le sud dans une moindre mesure). A l’exception des tribus amérindiennes qui sont encore là, il n’y a guère, pour l’instant, de populations dans le Mid-West. Le Texas, le Nouveau Mexique, la Californie et la région des Rocheuses ne font pas encore partie de l’Union.
Le mouvement millérite est interconfessionel. Les millérites viennent de tous les milieux religieux et des incroyants se convertissent. Mais ils ne créent pas une nouvelle Eglise. Leur point de ralliement est la doctrine du retour du Christ. Est-ce que cela veut dire qu’ils ne prennent pas les doctrines au sérieux ? Pas du tout ! Mais à quelques années de la date supposée du retour du Christ, ils sont trop affairés à propager la nouvelle pour entrer dans certaines considérations doctrinales, même si paradoxalement, deux mouvements chrétiens exigeants sur les questions de doctrine convergent vers le millérisme. En effet, de nombreux millérites font partie du mouvement restaurationiste qui estime que la Réforme protestante ne s’est pas achevée. Il faut continuer à étudier la Bible, aller de découvertes en découvertes, et restaurer les vérités oubliées. Plusieurs prédicateurs millérites (dont Joshua Himes, Joseph Bates et James White) partagent aussi les conceptions de la connexion chrétienne, un mouvement qui clame haut et fort que tous les chrétiens ont la capacité de se jeter sans complexes dans l’étude du Livre sacré. Avec l’aide du Saint-Esprit, n’importe qui peut le comprendre. Il n’est pas réservé aux seuls spécialistes bibliques et aux théologiens. Les millérites rejettent les rêves humains, tous utopistes, d’un monde meilleur. Ils ont acquis cette conviction puisée dans la pensée biblique : aucun système politique, économique et même religieux ne peut marcher. Ils sont tous, même les plus ingénieux, irrémédiablement voués à l’échec parce que c’est la nature humaine qu’il faut changer. Ces rêves se brisent contre l’égoïsme, la soif du pouvoir, la cupidité, le désir de conquète, la violence, la jalousie, inhérents aux êtres humains. Le seul espoir sans illusions est l’établissement du royaume de Dieu et une transformation de tous les caractères :
« Mais nous, nous attendons, comme Dieu l’a promis, un nouveau ciel et une nouvelle terre où la justice habitera ». (2 Pierre 3.13)
C’est parti !
Grâce à Joshua Himes, le mouvement millérite est désormais lancé. Sans lui, le message de William Miller n’aurait jamais été médiatisé. D’autres dirigeants millérites vont ajouter leur pierre à l’édifice. Nous le verrons la prochaine fois. On l’oublie trop souvent : sans eux, le mouvement ne prendrait jamais l’ampleur dramatique qu’on lui reconnaîtra.
Commentaires
Il se trouve que la prochaine note historique abordera sur certains aspects la notion d'un réveil millérite. On a bien les ingrédients d'un réveil : un retour à l'étude de la Bible, une ferveur spirituelle, un taux élevé de conversions. A plusieurs reprises, des mouvements de réveil furent aussi interconfessionnels.
Mr Chandler
C'est avec grand plaisir que je me plonge dans le récit
passionnant de l'origine adventiste.
Bien que connaissant les grandes lignes qu' y ont
présidée, des lacunes subsistaient.
Je crois aussi nécéssaire la séparation de dénomination que vous faites entre les millérites d'avant 1844 et ceux qui viendront après.
Car l'adventisme millérite s'inscrit dans la grande lignée de l'histoire du millénarisme... Bien qu'il faille nôter sa spécificité théologique par sa conception pré-millénariste.
En ce sens,et par sa dimension interconfessionnelle, on peut bien qualifier le millérisme de "réveil"?...