Pourquoi Jésus n’est pas revenu le 22 octobre 1844 ? Croire en la parousie a t’il encore un sens ? Ces questions taraudent les millérites. Au lendemain du grand désappointement, des millérites rentrent à la maison, après avoir attendus et pleurés jusqu’à l’aube dans la ferme d’Hiram Edson, un méthodiste de Port Gibson dans l’état de New-York. Avant leur départ, Edson invite les traînards à le rejoindre dans un grenier pour un moment de prière. Il en ressort un peu plus tard avec la profonde impression que « la lumière serait apportée » à leurs interrogations et que « le désappointement serait expliqué ».
Un autre évènement
Rassénérés, Hiram Edson (1806-1934) et un ami, probablement Owen Crosier, s’en vont visiter des voisins millérites pour les encourager. En traversant un champ de maïs, Edson a comme un flash, une vision de quelques secondes, au milieu du chemin. Il rapportera : « Le ciel sembla s’ouvrir à ma vue... J’ai vu distinctement et clairement notre Grand Prêtre entrer pour la première fois dans le lieu très saint du sanctuaire céleste, au dixième jour du septième mois, à la fin des 2300 jours, pour accomplir une oeuvre dans ce second appartement, au lieu et avant de venir sur cette terre ». Les millérites ne se sont pas trompés sur la date mais sur la nature de l’évènement. Son esprit fait soudainement le rapprochement avec Apocalypse 10. Dans cette vision, une voix commande à Jean, l’auteur de l’Apocalypse, de manger un petit rouleau :
« Je pris donc le petit livre de la main de l’ange et je le mangeai. Dans ma bouche, il fut doux comme du miel, mais, après l’avoir mangé, mon estomac fut rempli d’amertume. Alors on me dit : Tu dois encore prophétiser concernant beaucoup de peuples, de nations, de langues et de rois ». (Apocalypse 10.10-11)
Une pensée traverse Edson avec force. Son cerveau cogite à la vitesse de l’éclair. Il connecte et identifie la vision à l’expérience millérite. L’analogie est saississante. L’attente de la venue de Jésus les a remplis de joie mais la déconvenue est vraiment très amère. Cependant, le texte est formel : il faut prophétiser à nouveau. L’espérance du retour du Christ est vraie ! Ils doivent continuer à l’annoncer. Sans s’en apercevoir, Edson s’est arrêté de marcher. Il est arraché à sa réflexion par la voix de son compagnon qui le précède sur le chemin. Celui-ci lui demande s’il va bien. Sans raconter ce qu’il a vu, Edson lui dit : « Le Seigneur a répondu à notre prière de ce matin en apportant de la lumière sur la cause de notre désappointement ».
Le jour du jugement
Qu’elle est la signification de la vision éclair d’Hiram Edson ? Pour répondre à cette question, Owen Crosier et lui étudient la Bible avec intensité. Ils découvrent dans Hébreux 8-9 que « la purification du sanctuaire » dans Daniel 8.14 n’est pas celle de l’Eglise ou la terre, comme William Miller le croyait, mais du sanctuaire céleste.
Au cours des mois suivants, Edson, Crosier et Dr Franklin Hahn font une étude approfondie du service religieux du sanctuaire. Ils estimeront que « c’était juste ce dont le reste dispersé avait besoin » car c’est la débandade parmi les millérites. Dans la Bible, « le reste » désigne ceux qui sont fidèles à la vérité. Edson et Hahn financent la parution de plusieurs articles dans The Day-Dawn, un périodique millérite. Au début de 1845, le premier article d’Owen Crosier (1820-1913), plus jeune – il a 24 ans – et plus intellectuel qu’eux, sort de presse. Dans un article du Day-Star en février 1846, les trois hommes parviennent aux conclusions suivantes :
1. Le plan du salut. Le sanctuaire hébreu est une illustration du vrai sanctuaire dans le ciel. Ses trois parties (le parvis, le lieu saint et le lieu très saint) illustrent les trois étapes du plan de Dieu pour sauver les humains. Ces trois étapes du ministère du Christ sont sa mort de substitution, à la place des pécheurs repentants, sa médiation pour le pardon de leurs péchés et l’effacement de leurs péchés.
2. L’accomplissement historique. La mort du Christ s’est produite lors de la Pâques de l’an 31. Son ministère de médiation dans le lieu saint du sanctuaire céleste a commencé la même année après son ascension. A sa médiation s’ajoute son ministère pour l’effacement des péchés, qui a démarré le 22 octobre 1844 dans le lieu très saint, au Yom Kippur – le jour des expiations.
3. L’implication pratique. Le 22 octobre 1844 ne conclut pas un évènement. Il le débute. L’effacement des péchés se déroule avant le retour du Christ, et non dans sa foulée comme William Miller le croyait. Les hébreux appelaient le Yom Kippur le jour du jugement. En effet ce jour là, le sanctuaire était rituellement purifié des péchés confessés. Autrement dit, bonne nouvelle, tous les péchés des repentis étaient effacés. Miller pensait à tort que la seconde venue de Jésus était le Yom Kippur.
L’instruction du jugement
La conclusion d’Edson, de Crosier et d’Hahn est inédite dans l’histoire du christianisme. On a parlé de jugement postérieur ou associé au retour du Christ, pas d’un jugement qui précède la parousie. Plus tard, par une étude poussée de la Bible, les adventistes du septième jour enrichiront cette compréhension. Leur attention sera retenue par la scène d’un jugement dans une vision du livre de Daniel :
« Je regardai pendant qu’on installait des trônes, un vieillard âgé de très nombreux jours prit place sur l’un d’eux... Des millions d’êtres le servaient et des centaines de millions se tenaient debout devant lui. La cour de justice prit place et l’on ouvrit des livres ». (Daniel 7.9-10)
La vie de tous les êtres humains est consignée dans des livres. La loi de Dieu est la norme du jugement. Le verdict est entériné dans le Livre de vie. Les adventistes noteront que cette instruction du jugement (aussi appelée enquête, jugement pré-avent ou investigatif) précède la seconde venue de Jésus :
« Sur les nuées du ciel je vis venir quelqu’un semblable à un fils d’homme. Il s’avança jusqu’au vieillard agé de nombreux jours et on le fit s’approcher devant lui. On lui donna la souveraineté, et la gloire et la royauté, et tous les peuples, toutes les nations, les hommes de toutes les langues lui apportèrent leurs hommages. Sa souveraineté est éternelle, elle ne passera jamais, et quant à son royaume il ne sera jamais détruit » (Daniel 7.13-14)
Par ailleurs homme de loi, Josiah Litch avait déjà noté la logique biblique d’une procédure de jugement qui précéderait la parousie mais quelque part, dans l’enthousiasme de l’attente, certaines implications échappèrent aux millérites. C’était une question de justice divine ! Il n’était pas dit que Dieu sauverait ou condamnerait quelqu’un sans une investigation préalable qui examine le parcours de sa vie. Sans montrer les preuves d’acceptation ou de refus de sa grâce. En vérité, les adventistes découvriront une procédure élaborée et minutieuse : une instruction du jugement avant le retour du Christ, une réexamination du cas des perdus durant le millénaire d’Apocalypse 20, suivie de l’exécution de leur sentence. Nous reviendrons ultérieurement sur la signification du jugement dans la théologie adventiste.
Une erreur providentielle
Pour un petit groupe de millérites, l’erreur sur la nature du 22 octobre 1844 est providentielle. Sans une date, l’annonce du prochain retour du Christ serait passée inaperçue. Dieu a permis une petite erreur afin de conduire le monde à une grande découverte. C’est la raison de la tournure des évènements. La principale contribution du millérisme au christianisme, et ce n’est pas une mince contribution, est de replacer la parousie sous le coup des projecteurs.
Nous l’avons déjà dit, les millérites ont une vision théiste de l’histoire. Ils ont cette conviction, ancrée par la réalisation des prophéties bibliques, que Dieu dirige l’histoire et qu’il guide les croyants. Hiram Edson le croit profondément : au bon moment, Dieu lui a montré une scène qui l’a mis sur la voie, qui l’a incité à chercher dans la Bible et à découvrir la doctrine de l’instruction du jugement. Nous verrons qu’en allant au bout de ce type de raisonnement, certains millérites survivront au grand désappointement alors que rien ne semblait l’indiquer. Mais beaucoup d’autres ne l’oseront pas et seront emportés dans la bourrasque.