Quand les adventistes établissent leurs bases doctrinales durant les conférences du sabbat (1848-1850), ils font appel à plusieurs traditions protestantes qui ont pris naissance en Europe et qui se sont exportées aux Etats-Unis. Ils reprennent à leur compte l’héritage spirituel de la Réforme, la culture puritaine de la recherche biblique, la profession de foi connexioniste « la Bible est notre seul credo », le revivalisme piétiste, le confessionalisme et le principe de liberté religieuse des anabaptistes. Ils adhèrent de tout coeur, mais sélectivement sur les détails, à ces diverses traditions. Nulle cependant ne les influence davantage que la piété méthodiste.
John Wesley
Dans la première partie de cet article, nous avons observé qu’au milieu du XIXe siècle, l’adventisme ne détonne pas dans le paysage protestant. C’est particulièrement vrai en Amérique du nord. Pour deux raisons. Primo, plus de la moitié des adventistes, dont Ellen White, sont des anciens méthodistes. Or à ce moment là, le méthodisme est la communauté religieuse la plus importante des Etats-Unis (et du Canada). Vers 1840, l’Eglise épicospale méthodiste est la plus grande dénomination religieuse du pays avec 580 000 membres. En 1850, 34% des chrétiens étatsuniens sont méthodistes. Deuxio, les adventistes intègrent une sacrée dose de piété méthodiste dans leur compréhension des Ecritures.
John Wesley (1703-1791), un fondateur du méthodisme, s’inspira consciemment du piétisme et des Dissenters d’Angleterre qui rejetaient l’interférence de l’Etat dans les questions religieuses. Si Martin Luther (1483-1546) fut le hérault de la justification par la foi, Wesley devint celui de la sanctification par la foi. Les deux hommes acceptaient les deux doctrines. Luther considérait que les oeuvres étaient le fruit de la grâce. C’est juste que, dans un contexte saturé par la croyance du salut par la grâce et les oeuvres, il mit beaucoup plus d’emphase et d’énergie à proclamer le salut par la grâce seule que la vie chrétienne sanctifiée. Deux siècles plus tard, Wesley estima que le contexte religieux s’était inversé. De nombreux chrétiens éclipsaient les oeuvres sous le prétexte de la grâce. Wesley ne se considéra jamais comme un innovateur en matière doctrinale. Il acceptait le credo des apôtres et le credo de Nicée (qui affirmaient la trinité, la mort et la résurrection du Christ). Il prenait simplement les enseignements du christianisme au sérieux et il chercha vraiment à les appliquer. Quatre aspects de la piété méthodiste influencèrent massivement la théologie adventiste.
1. La liberté humaine
La plupart des réformateurs protestants avaient une vision négative de la nature humaine. Selon Martin Luther, l’être humain avait perdu l’image de Dieu (un caractère semblabe à Dieu et la liberté de choix) après la faute d’Adam et Eve. Sa volonté était esclave de sa nature pécheresse. Après sa conversion, il passait sous le contrôle du Christ et du Saint-Esprit. Pour Jean Calvin (1509-1564), l’être humain était totalement dépravé (l’incapacité de faire le bien). S’il acceptait la grâce de Dieu, c’était parce qu’elle était irrésistible. Selon la doctrine calviniste de la double prédestination, le salut dépendait complètement de la volonté souveraine de Dieu. Les incroyants étaient prédestinés à la perdition et les croyants au salut – « une fois sauvé, toujours sauvé ».
Wesley refusa l’idée d’un salut et d’une perdition arbitraires. Il affina la position plus positive du réformateur hollandais Jacob Arminius (1560-1609) en soutenant que l’image de Dieu était partiellement effacée chez l’être humain. Par amour et respect pour ses créatures, Dieu ne leur imposait pas le salut. Celles-ci étaient dotés d’une volonté libre d’accepter ou de rejeter sa grâce. Christ était mort pour le salut de tous les hommes et non pour une partie de l’humanité. C’était le plan de Dieu que tous obtiennent la vie éternelle mais cette élection – ou prédestination (c’est-à-dire ce que Dieu avait prévu ; 1 Timothée 2.4, Ephésiens 1.4-5) – était conditionelle et non déterminée à l’avance. Le salut était offert à tous mais la grâce de Dieu n’était pas irrésistible : on pouvait la repousser. Si le croyant ne persévérait pas dans sa relation avec Christ, il pouvait aussi perdre la foi et le salut. Fort heureusement, cette apostasie n’était pas forcément définitive. Les apostats pouvaient retourner à la foi chrétienne.
2. La voie du salut
Wesley estimait que la prédestination calviniste apportait une fausse sécurité du salut. Sa principale contribution au christianisme fut sa définition du Via Salutis, la voie du salut. Elle comprenait quatre aspects de la vie chrétienne. 1) Par sa grâce prévoyante, Dieu prend l’initiative de révéler la voie du salut à l’humanité. Le Saint-Esprit parle à la conscience de l’être humain et la réveille aux réalités spirituelles. 2) Par sa grâce convaincante, Dieu révèle à l’invidu son profond besoin de Lui. Le Saint-Esprit dévoile son amour manifesté par Jésus-Christ et il l’invite à accepter le don gratuit de la vie éternelle. 3) Par sa grâce justifiante, Dieu pardonne celui qui regrette de l’avoir offensé et qui vient à Lui tel qu’il est. Il le voit juste au travers de la perfection de Jésus et il opère en lui une transformation instantanée appelée « la nouvelle naissance ». 4) Par sa grâce sanctifiante, par la puissance imperceptible du Saint-Esprit, Dieu transforme progressivement le caractère du croyant.
3. La sanctification par la foi
Les réformateurs s’étaient intéressés aux implications du rôle des oeuvres avant la justification par la foi. Et ils avaient conclu qu’elles ne sauvaient pas. En revanche, John Wesley tourna son attention sur le rôle des oeuvres après la justification. Il conclut que la réponse naturelle à la grâce, sa conséquence, son résultat et ses fruits étaient une vie sanctifiée et des bonnes oeuvres. La loi de Dieu n’était pas abolie car les principes des dix commandements étaient éternels. Un de ses textes favoris, Ephésiens 2.8-10, résumait parfaitement cette compréhension :
« Justification C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu : ce n’est pas le fruit d’oeuvres que vous auriez accomplies. Personne n’a donc raison de se vanter. Sanctification Ce que nous sommes nous le devons à Dieu : car par notre union avec le Christ, Jésus, Dieu nous a créés pour une vie riche d’oeuvres bonnes qu’il a préparées à l’avance afin que nous les accomplissions ».
Wesley encouragea les prédicateurs méthodistes à précher « le plein évangile », c’est-à-dire la justification, la sanctification et la préparation à la gloire du ciel. Il vit le salut en terme de délivrance : le pardon (le salut débute), la sainteté (le salut continue) et le ciel (le salut s’achève). Autrement dit, le croyant était sauvé immédiatement de la pénalité du péché, progressivement du règne du péché et eschatologiquement de la présence et des effets du péché. Pour Wesley, le salut était aussi une guérison holistique avec deux dimensions thérapeutiques : la restauration instantanée (la nouvelle naissance) et la restauration progressive (la transformation intérieure). Dans le livre Primitive Physics, il établit une relation entre la guérison spirituelle et la guérison physique, convaincu que Dieu veut que l’on soit autant que possible en bonne santé. Il accorda de l’importance à l’hygiène, à la nutrition, à l’exercice et aux remèdes naturels. Il affirma que le corps et l’esprit (par des passions déréglés et des émotions négatives) s’affectaient mutuellement.
4. La perfection du caractère
John Wesley encouragea activement la poursuite de la sainteté par la pratique des disciplines spirituelles : la méditation chrétienne, la prière, l’étude de la Bible, l’adoration, le témoignage, les actes de service comme s’occuper des pauvres, des orphelins, des veuves, des prisonniers et des personnes dans le besoin. Il insista sur la participation et la coopération humaine afin d’atteindre, par la grâce de Dieu, « la perfection du caractère ». Par là, il signifiait l’amour pour Dieu et le prochain, la victoire sur les défauts extérieurs et intérieurs (les mauvaises pensées, attitudes et émotions), mais pas une perfection absolue – en connaissance, jugement (l’infaillibilité), santé et nature humaine.
Relayeurs de la flamme éternelleLes adventistes se considèrent des relayeurs dans la lignée historique des passeurs de la vérité primitive. Plus tard, Ellen White ne cachera pas dans La tragédie des siècles sa grande admiration pour le courage et la sagacité de Luther, Wesley, Calvin, Hus, Wicleffe et de d’autres champions de la foi. Ainsi donc, ils empruntent à plusieurs traditions religieuses, à la particularité d’avoir souvent des points communs : un effort de retour à la foi des apôtres, la Bible comme l’unique règle de foi, la justification par la foi, le sacerdoce de tous les croyants, l’étude collective de la Bible, le baptème par immersion des adultes, la défense de la liberté religieuse, le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la simplicité du culte d’adoration, le chant congrégationel, le revivalisme, le prophétisme historiciste, la perpétuité de la loi morale, la sanctification par la foi, la tempérance et la piété pratique.
Cette incorporation doctrinale est sélective car les adventistes veulent éviter les erreurs et les excès possibles des diverses traditions. Mais ce cheminement est progressif. Si par exemple, Joseph Bates et James White emportent de la connexion chrétienne (leur ancienne église) des principes positifs comme « la Bible est notre seul credo », ils ne se sont pas encore débarrassés de tous ses éléments négatifs – le rejet d’une substitution lors de la mort du Christ ou le semi-arianisme christologique ou anti-trinitaire (ils pensent que le Saint-Esprit est une puissance, et non une personnalité de la trinité). Ellen White ne cessera pas de le répéter : les adventistes doivent poursuivre la recherche biblique. Mais comme nous le verrons, à partir de 1850, ils commencent à tourner leur attention sur deux autres sujets : leur mission et l’épineuse question de l’organisation.