Désolé. Beaucoup me demandent de garder le rythme du blog. C’est le moment d’enchainer avec vous, pour vous, les notes historiques de Chandler. Durant quelques jours elles se succéderont autour de divers thèmes. Pour l’instant Jean Luc Chandler vous propose une réflexion autour des liens historiques entre l’adventisme et le protestantisme. Voilà qui débute bien une série de réflexion durant les fêtes de fin d’année.
LES INFLUENCES PROTESTANTES DANS L'ADVENTISME
Au milieu du XIXe siècle, rien n’est plus banal que le millérisme et l’adventisme au sein du paysage protestant. Les deux groupes n’ont pas surgi soudainement comme une nouveauté, comme une sorte de génération religieuse spontanée, mais à partir de la matrice originelle du protestantisme, qui a inspiré tous leurs mouvements de pensée. En 1850, les méthodistes (34% des chrétiens américains) et les baptistes (20%) sont d’assez loin les groupes religieux les plus importants des Etats-Unis mais les adventistes font aussi appel à d’autres traditions protestantes qui ont traversé l’Atlantique, de l’Europe à l’Amérique du nord, quand ils établissent leurs bases doctrinales.
1. L’héritage de la Réforme
Comme les millérites, les adventistes se considèrent des héritiers de la Réforme protestante. A quelques détails près, ils acceptent les doctrines emblématiques formulées par Martin Luther sans sentir le besoin de les discuter. 1 Sola Scriptura : la Bible est la seule autorité en matière de foi, et non la tradition de l’Eglise. 2 Sola gratia : nous ne sommes pas sauvés par nos actions ou par celles de d’autres personnes mais seulement par la grâce de Dieu qui est complètement imméritée. 3 Sola Christos : nous sommes sauvés uniquement par le sacrifice volontaire de Jésus-Christ qui s’offrit en substitut à la place des pécheurs (cette notion, nous l’avons observé, tous les adventistes à l’époque ne la comprennent encore clairement). 4 Sola fide : la grâce de Dieu est accordée seulement par la foi. 5 Sola sacerdos : tous les chrétiens sont des ministres de l’évangile, c’est-à-dire au service de Dieu. Certains dirigent la communauté religieuse, mais tous font partie du laos (le peuple de Dieu), un terme qui a donné le mot français « le laïcat ». A part cela, comme Luther, les adventistes adhèrent au mode d’interprétation historiciste des prophéties et à la doctrine du « sommeil » de l’âme dans la mort.
2. Le biblicisme connexioniste
L’historien Mark Noll observe : « Au début du XIXe siècle, les Américains transforment le premier cri de bataille de la Réforme, « la Bible seulement », en un appel distinctement américain – « la Bible est notre seul credo » » (A History of Christianity in the United States and Canada, p.151). Concrètement, cela se traduit par l’étude personnelle de la Bible – autrement dit, sans le passage obligé d’un magistère pour l’interpréter - et surtout par le refus de figer les enseignements des Ecritures dans des formules doctrinales (définitives). La connexion chrétienne, dont Josiah Himes, Joseph Bates et James White sont des anciens membres, insiste beaucoup sur cette idée. Gerald Wheeler appelle le connexionisme, « le premier mouvement religieux indigène des Etats-Unis » (James White, p.29). Willer Miller et Ellen White font aussi écho à Martin Luther quand ils proclament que « la vérité est progressive ». La Bible est le produit d’un Esprit infini. Sa compréhension – notamment prophétique – est en expansion continuelle : « Une multitude alors cherchera, et la connaissance augmentera » (Daniel 12.4). D’où la répugnance des adventistes à s’enfermer dans un corset doctrinal trop rigide. Ils estiment qu’ils n’ont pas fini de découvrir, d’apprendre, d’approfondir et d’affiner leur compréhension des Ecritures.
3. L’érudition puritaine
Au milieu du XIXe siècle, les Etats-Unis sont religieusement morcelés en régions. L’Eglise anglicane est implantée en Virginie, dans les Carolines, le Maryland et la Georgie. Les Quakers et les Moraves habitent en Pennsylvanie. Les Presbytériens résident dans le Maryland, la Caroline du nord et l’état de New York. Les baptistes sont dispersés dans le Massachussetts, et dans une mesure moindre un petit peu partout, notamment dans les états du sud. Les millérites et les adventistes sont établis dans la Nouvelle-Angleterre où la culture puritaine est encore très présente. Celle-ci a un goût prononcé de l’exposé biblique durant les réunions religieuses, en contraste avec la liturgie élaborée des anglicans, la spontanéité des quakers ou le partage communautaire des baptistes.
Le puritanisme démarra au XVIe siècle par un désir de réformer et de purifier l’Eglise d’Angleterre. Remplis de zèle, les puritains exprimèrent avec force leurs convictions et introduirent en contrebande la première traduction anglaise de la Bible – écrite par William Tyndale. Ils furent les premiers protestants étatsuniens. Ces intellectuels solides démarrèrent des universités – aujourd’hui prestigieuses (comme Princeton ou Yale) – pour inciter les masses à étudier les Ecritures. En 1636, ils fondèrent l’université Harvard, la première grande école des Etats-Unis, en l’honneur du pasteur puritain John Harvard. La devise de l’institution, Veritas, résume leur quète de vérité et leur tradition d’étude individuelle de la Bible. Les adventistes doivent aux puritains la passion de l’éducation et de la recherche biblique, la simplicité du culte d’adoration, l’emphase sur la piété personnelle et la modération en toutes choses.
4. Le confessionalisme anabaptiste
Au milieu du XIXe siècle, les dénominations protestantes américaines sont des congrégations de confessants (par un engagement libre et consenti). Les assemblées multitudinistes (par le baptême des nouveaux-nés) sont des espèces en voie de disparition. Pour la population, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et le choix libre de ses croyances vont quasiment de soi. La constitution américaine le garantit, une disposition unique au monde à l’époque. Les anabaptistes – un courant de la Réforme qui prit naissance en Suisse en 1525 avec l’objectif affiché de restaurer le christianisme primitif – furent des fervents promoteurs du principe. Ceux-ci se dispersèrent en Europe occidentale, notamment en Belgique et dans l’est de la France, et aux Etats-Unis. De manière directe (chez les baptistes et les mennonites par exemple) ou indirecte, la religiosité anabaptiste s’établit sur l’ensemble du protestantisme américain. Et pas moins sur l’adventisme qui lui doit ses croyances de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, du baptême des adultes par immersion, de la relation engagée avec Christ, du principe de la liberté religieuse, et de l’adhésion volontaire et non violente aux croyances de son choix.
5. Le revivalisme piétiste
Au milieu du XIXe siècle, une des caractéristiques distinctives de la religiosité protestante étatsunienne est le revivalisme. Inspiré par la piété pratique des puritains, Philipp Spener lança en 1675 un esprit de réveil parmi les luthériens allemands. Son objectif était de raviver le christianisme en alliant la religion du cerveau (la connaissance biblique) à la religion du coeur (la dévotion personnelle, l’amour du prochain, les actes de bonté). Les doctrines correctes, le simple assentiment à la vérité, n’étaient pas tout. Sans une relation personnelle avec Christ, sans une foi vivante qui créait un impact concret sur l’individu, cette connaissance était asséchante et froide. Dans leurs prédications, les piétistes – appellés ainsi à cause leur piété – s’efforcèrent de toucher l’intelligence, le coeur et la vie de leurs auditeurs. Ils plaçèrent l’accent sur la nouvelle naissance spirituelle, la transformation intérieure, la piété individuelle et l’abandon des plaisirs mondains. « Si quelqu’un ne naît pas de nouveau, il ne peut voir le règne de Dieu » (Jean 3.3) était leur texte phare. Le piétisme produisit directement (chez les moraves par exemple) ou indirectement (chez les méthodistes) une influence majeure sur le protestantisme américain. Il a transmit aux adventistes les principes de l’étude sincère et approfondie de la Bible, de la vie de prière, du christianisme pratique, de la tolérance, de la bienveillance envers les incroyants, et la doctrine de la sanctification par la foi.
Des doctrines prises pour acquises
Tous les Américains sont très attachés à ces principes religieux qui forment la fabrique du protestantisme et de la République aux Etats-Unis. Faut-il donc s’étonner de ce fait remarquable ? Durant la formation de leurs doctrines, les adventistes examinent de près les découvertes bibliques mais acceptent sans grande discussion les croyances glanées chez les cinq traditions protestantes sus-mentionnées. Par concensus tacite, elles s’imposent à eux comme des évidences bibliques et des acquis doctrinaux du protestantisme. Cette approche est un peu à leur détriment. Car elle ne sera pas sans créer quelques problèmes par la suite. En prenant l’étude approfondie de certains sujets pour acquise, ils se trouveront parfois inopinément confrontés à des imprécisions et à certaines compréhensions théologiques imparfaites insoupçonnées. C’est le cas, nous le verrons, de l’écclésiologie (la doctrine de l’Eglise) qui surgira brusquement sur leur radar durant la décennie 1850.