Le 1er janvier 1884, une assistance est réunie dans une salle du collège adventiste d’Healdsburg en Californie durant « l’école du sabbat », un moment habituellement réservé à l’étude de la Bible par petits groupes. La salle est soigneusement décorée avec des fleurs, des gerbes de cyprès, des sapins et des feuilles d’automne. Une grande cloche en sapin est suspendue à une arche à la porte d’entrée. Un arbre est chargé de cadeaux (des dons monétaires) destinés aux pauvres. Durant la distribution des dons, on lit des textes bibliques et des pensées à méditer. Après le service, quelques personnes s’approchent d’une petite dame âgée de 58 ans. Ils lui posent la question : « Sœur White, que pensez-vous de cela ? Est-ce en harmonie avec notre foi ? » Ellen White ne trouve rien à redire. « C’est en harmonie avec ma foi », dit-elle.
La fièvre de Noël
Durant la décennie 1880, Noël devient un sujet de préoccupation parmi les adventistes. Dans la population américaine, cette période de festivité n’est pas très différente d’aujourd’hui. On célèbre Christmas, le Noël religieux, en l’honneur de la naissance du Christ. On présente des cantates et on chante les Christmas carols dans les foyers, les églises et devant la porte des voisins. On visite les malades et les infortunés de la vie. Mais il y a aussi le Noël profane, populaire, avec les traditions européennes des fêtes d’hiver et ses histoires de père Noël. On se goinfre, on boit, on danse, on s’étourdit dans des divertissements. Ellen White observe que « la période de festivité se passe dans la frivolité, l’extravagance, la gloutonnerie et l’étalage » de biens et de beaux vêtements (Review and Herald, 11 décembre 1879).
C’est déjà l’époque de la rage du Noël consumériste. On dépense sans compter. On achète beaucoup de cadeaux pour offrir à toutes sortes de personnes. Tous les adventistes ne sont pas immunisés contre cette fièvre qu’Ellen White appelle « une coutume égoïste ». Elle se plaint que « des milliers de dollars sont dépensés inutilement chaque année dans des cadeaux réciproques. Cela veut dire une perte pour Dieu et pour sa cause. Ceci plait la vanité, encourage l’orgueil, crée des mécontentements et des récriminations en tous genres, peut-être parce que les cadeaux ne sont pas ceux que l’on désire ou qu’ils ne sont pas d’une valeur plus élevée » (Review and Herald, 9 décembre 1884).
Une nuit pas si douce
Aux dires d’Ellen White, raconter la vie du Christ est sa spécialité, mais elle n’a presque rien écrit sur Noël. Pour une raison très simple. « Il n’y a aucune certitude, écrit-elle, que nous célébrons le jour véritable de la naissance de notre Sauveur… La Bible n’indique pas le temps précis… Cela nous été caché pour la plus sage des raisons… Ce jour ne doit pas recevoir l’honneur qui revient à Christ, le Sauveur du monde » (Review and Herald, 9 décembre 1884).
On le sait, Jésus n’est pas né au mois de décembre. De novembre à février, les bergers de la Palestine ne gardent pas les troupeaux la nuit à l’air libre parce qu’il fait trop froid. Les historiens pensent que la naissance du Christ a eu lieu probablement en septembre ou durant la première semaine d’octobre, vers l’an 4 av. JC (le moine Denis s’étant trompé dans ses calculs sur le début de l’ère chrétienne). A cette période de l’année, Jérusalem est bondée de pèlerins venus célébrer la fête des huttes. La fête religieuse la plus joyeuse des Juifs ! Elle signifie symboliquement : « Dieu habite parmi nous ». Quel symbole à un tel moment de l’histoire du monde !
Des cabanes faits de branchages se dressent sur les places, les toits et aux alentours de la « cité de la paix ». L’impeccable blancheur du marbre du temple d’Hérode étincelle dans la nuit à la lueur des milliers de flambeaux. A seulement six kilomètres de la ville sainte, cette effervescence (ajouté à la confusion du recensement ordonné par l’empereur romain Auguste) explique sans doute pourquoi Joseph et Marie n’ont pas trouvé une chambre dans une des auberges de Béthanie. Ironiquement, celui qui descend habiter parmi nous vient au monde comme un SDF, un prince céleste incognito.
Chaque 25 décembre à Rome, on célèbre une autre naissance, ou plus exactement la renaissance de Sol Invictus, le dieu-soleil invincible. Des torches illuminent la ville et les arbres sont décorés. Le premier document qui fait état d’une célébration chrétienne de la nativité à cette date remonte à l’année 354. Curieusement, cette date est choisie non pour une raison religieuse mais parce qu’elle marque le début du solstice d’hiver.
Christ au centre de Christmas
Conscients de ces faits historiques, la plupart des Américains ne célèbrent pas Noël durant les deux premiers siècles de la colonisation des Etats-Unis. Dans un livre bien documenté, The Battle for Christmas, l’historien Stephen Nissenbaum rapporte que les Puritains s’y opposent systématiquement. Mais au milieu du 19e siècle, Christmas devient une fête officielle et acquiert rapidement une popularité énorme.
A la surprise des puristes (qui veulent éviter tout ce qui pourrait faire penser à Noël), la position d’Ellen White est modérée. Une dénomination chrétienne qui met autant d’emphase sur la seconde venue de Jésus doit-elle se taire sur sa première venue ? Elle ne le croit pas. A ceux qui rejettent l’idée de célébrer la naissance du Christ, elle rétorque que l’année juive était rythmée par plusieurs fêtes religieuses. C’est Jésus, et non une date, que l’on exalte. Durant la période de Noël, l’attention du monde est tournée vers cet évènement. Il faut saisir toutes les occasions, profiter de cette période idéale de réceptivité pour raconter aux enfants et aux incroyants l’amour stupéfiant (je paraphrase ici) de « celui qui quitta son trône céleste glorieux, s’incarna dans la chair humaine afin de sauver au plus profond de sa misère une humanité condamnée à disparaître ». Autrement dit, il faut replacer Christ au centre de Christmas.
Un Christmas sans extrêmes
Ellen White a toujours découragé les controverses, et à plus forte raison sur un sujet mineur. Son approche est pragmatique. Pas question d’être des rabat-joie ! Et d’attiser la frustration des enfants et des jeunes. C’est, dit-elle, un moment privilégié pour se retrouver en famille et apporter un peu de bonheur aux siens, aux pauvres et aux malades. « C’est une chose plaisante, écrit-elle, de recevoir un présent, aussi petit soit-il, de ceux qu’on aime. C’est l’assurance que nous n’avons pas été oubliés. Cela nous rapproche un peu plus les uns des autres » (Review and Herald, 26 décembre 1886). Elle suggère d’offrir des cadeaux utiles, notamment des livres édifiants aux enfants, et d’utiliser l’arbre de Noël comme un symbole de générosité et de gratitude envers Dieu. Elle remarque que durant les fêtes juives, on ne se présentait jamais devant Lui les mains vides.
« A l’approche du prochain Noël, écrit-elle en 1884, que les parents ne prennent pas la position qu’un arbre de Noël placé dans l’église pour égayer les élèves de l’Ecole du Sabbat est un péché. On peut en faire une grande bénédiction… Que les arbres de Noël soient présentés à Dieu dans les églises avec des offrandes de générosité et de reconnaissance… des fruits que Dieu accepte comme une expression de notre foi et de notre amour envers lui, pour le don de son fils Jésus-Christ » (Review and Herald, 9 décembre 1884).
On le voit, Ellen White donne une dimension familiale et spirituelle à la période de Noël, sans les excès des festivités populaires, ni l’austérité angélique des puristes. Pour ceux-ci, c’est une pilule dure à avaler. Elle s’en explique dans la Revue adventiste. Un arbre décoré est sans conséquence pour la foi des croyants :
« Nous approchons la fin d’une autre année. N’allons-nous pas utiliser l’opportunité de ces jours festifs pour apporter à Dieu nos offrandes ?... Des lettres nous parviennent avec ces questions : Devons-nous avoir un arbre de Noël ? N’est-ce pas être comme le monde ? Nous répondons : vous pouvez le rendre comme le monde si vous avez cette inclination ou aussi différent du monde que possible… Le péché réside dans la motivation de nos actions » (Review and Herald, 11 décembre 1879).
« Nous nous sommes efforcés de rendre cette période de jours de fête aussi intéressante que possible pour les jeunes et les enfants, tout en changeant cet ordre des choses… Alors que nous protégeons nos enfants des plaisirs mondains corrupteurs et trompeurs, nous devons leur procurer des récréations innocentes » (Review and Herald, 29 janvier 1884).
Il faut croire que les conseils d’Ellen White portent leurs fruits car après la décennie 1880, la question de Noël ne préoccupe plus les adventistes. Si certaines interrogations surgissent quelquefois aujourd’hui, c’est parce que le contexte de l’époque (qui éclaire ses déclarations) a été oublié. Si on voit quelques variations dans la forme, c’est en fonction des sensibilités culturelles ou personnelles. Mais le message de la saison est bien compris et proclamé : « Un Sauveur vous est né » (Luc 2.10). C’est bien là le plus important.