Le documentaire de Pascal Bensoussan « La fièvre tout le temps. Une petite histoire des relations sexuelles aux Antilles » est un 52 minutes qui zoom sur la place de la sexualité aux Antilles. Ce documentaire est avant tout un florilège de stéréotypes. Mais une fois que l'on a dit cela il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Que retenir ?
Premièrement le rapport à la sexualité est plus décomplexé aux Antilles qu'en France. Je préfère dire cela en ces termes peu négatifs. Le documentaire tente de faire un équilibre entre grivoiseries et analyses socio-historique. Il n'y arrive pas certainement parce que ce point d'équilibre n'existe pas.
Ernest Pépin fait une apparition trop courte. Son roman, Le Tango de la haine évoque cette question. Il montre, de manière romanesque, mais tellement exacte, l'effet de l'économie de plantation sur le rapport homme femme. C'est dans ce rapport que tout se construit. L'esclavage avec l'omniprésence de la mort et le « droit de cuissage » du maître va avoir des effets dévastateurs. L'impuissance de l'esclave à protéger femmes et enfants, l'apparition des métisses, l'éventuelle stratégie sexuelle des femmes pour se sortir de l'esclavage, etc. sont des effets du système esclavagiste. Ces derniers vont structurer le rapport homme femme. Se rajoute les idéaux chrétiens qui vont être imposés. Quel mélange ?
Plus qu'ailleurs, les femmes ont appris à compter premièrement sur elles pour élever leurs enfants. Les hommes ont de leur côté embrassés la logique de performance. Notons tout de suite que cela n'est pas une spécificité antillaise. La singularité est l'approche décomplexée, assumée, qui peut donner l'impression d'une plus grande permissivité.
Mais ce que le documentaire ne signale pas, et là est mon grief, c'est l'évolution du rapport à la sexualité. Les femmes doivent-elles toujours être présentées comme des victimes ? Pas évident. Surtout, nous pouvons parler d'un renversement. Si les comportements perdurent, les femmes ont sans doute pris les choses en mains, doucement et parfois brutalement. Elles ne se laissent plus faire. Elles n'acceptent plus d'être considérées comme des pions. Des femmes qui se laissent faire ? Non, pour la grande part, elles ont pris le dessus! Loin d'être anecdotique cela montre que les choses sont loin d'être tout noir ou tout blanc.
Sur ce point je tiens à mettre en perspective. Je fais un cours aux étudiants sages-femmes sur les comportements sexuels de français à partir des 3 enquêtes réalisées en France sur cette question. Que constatons ? Principalement que le comportement féminin rejoint celui des hommes. De plus, les femmes comprennent plus facilement la logique masculine. L'inverse est moins exact. Aux Antilles c'est le même phénomène. L'écart entre ce que l'on déclare, et ce que l'on croit peut être grand sur la question du sexe. Surtout concernant les femmes.
Un point de désaccord avec le documentaire est la présentation que fait Raphaël Confiant. Il présente les groupes religieux minoritaires (il dit secte) comme ayant des effets dévastateurs. Puritains, ils insisteraient sur une morale qui renforce l'éthique judéo chrétienne. A mon sens, sur ce point des précisions sont nécessaires. Là je m'écarte de Confiant. Il fait une triple erreur.
- 1. Ce n'est pas parce que c'est judéo chrétien que c'est obligatoirement mauvais ou incompatible avec le social antillais. Aucune démonstration ne met en évidence que la monogamie et la fidélité étaient incompatibles avec les souhaits des esclaves? On a tellement insisté sur l'esclave différents, parfois polygame, qu'on croit qu'il s'agit d'une vérité universelle et historique.
- 2. Parler de secte donne l'impression que les membres ou adeptes de ses groupes font ce qu'ils croient. Non, non... scandales, incestes, tromperies, adultères, existent dans les groupes religieux aussi. Ils composent la société et connaissent les mêmes difficultés ou antagonismes.
- 3. L'éthique religieuse des groupes minoritaires peut être stigmatisée par une société sans être rejetée par elle! Et ben oui. Soyons précis. Quand on demande aux individus s'ils approuvent les exigences de la morale religieuses ils déclarent non, ou en gros c'est ce qui ressort du discours. Par contre, ils trouvent normal et nécessaire cette éthique. Hic, ce n'est pas contradictoire. C'est simplement un constat individuel de l'écart entre une morale idéale et ce qu'ils vivent. Preuve en est, les filles des groupes religieux minoritaires (surtout celles nées dans le groupes et ayant leur réseaux relationnels dans le groupes religieux) sont souvent prisées parce qu'elles représentent une forme «d'incarnation» (j'ai pas trouvé de meilleurs terme) de la morale idéale. Fruit de l'évolution dont nous parlions tout à l'heure, cette image est désormais loin de la réalité.
A l'avantage de Confiant, remarquons que les groupes religieux introduisent du paradoxe, voire de la tension dans le rapport à la sexualité dans une société qui en a hérité énormément de la période esclavagiste. Et, là Raphaël Confiant a vu juste.
Un dernier point, le documentaire n'indique pas que les stéréotypes sur la sexualité dont il fait étalage sont a le fruit d'une idéologie raciste. Le noir a la musique dans la peau, aime le sexe ou est un étalon, reposent avant tout sur une idéologie raciste et non sur des faits ontologiques. Le problème c'est que le discriminé croit qu'il est réellement ce dont il est victime. Il croit maintenant qu'il a la musique naturellement dans la peau, qu'il est naturellement plus attiré par le sexe, etc. Pascal Blanchard, excellent historien qui aborde le racisme et les stéréotypes dont sont victimes les noirs démontrent que c'est dès le XVe siècle que se forgent les stéréotypes sexuels contre les noirs. Y compris ceux qui font l'orgueil des noirs. A méditer
Commentaires
Excellente analyse. Vraiment bien. T
Pour en savoir plus sur l'origine de l'image humiliante de l'homme Noir en Occident
www.deshumanisation.com