La dengue est une pathologie très répandue. Fièvre intense, sensation de froid, perte d'appétit, mais surtout des courbatures importantes vous envahissent. Elle est si virulente qu'il arrive de délirer surtout dans le sommeil. La dengue est une atteinte généralement bénigne et en une semaine on est normalement remis. L'épidémie a mis en évidence plusieurs éléments qui mélangent tendancieusement réalités et idées reçues. Elle pose un aspect des problèmes sociaux aux Antilles et est un révélateur de la relation de la France aux Antilles.
La dengue serait-elle le résultat d'un manque de civisme?
C'est vrai partiellement. La dengue se véhicule surtout par la femelle du moustique aedes aegypti. Le mode de vie humain donne des conditions idéales pour la reproduction de ce moustique en zone tropicale. Combattre la dengue passe par des attitudes à éviter. Il est ainsi recommander de ne pas offrir à ce moustique des lieux propices à sa reproduction. Tous les accès aux eaux stagnantes doivent lui être fermés. Il s'y reproduirait. Ainsi aujourd'hui, après les messages d'alertes de la grippe A, vous aurez dans plusieurs lieux (aéroport, espaces d'accueils...) des appels à sensibilisation invitant à ne rien laisser trainer dans l'environnement qui permettrait à l'aedes aegypti de proliférer.
Ces messages sont bienvenus. Aux Antilles, vous serez surpris du nombre d'objets qui polluent et permettent à l'eau de stagner et donc aux moustiques de se reproduire. Pneus de voitures, carcasses, récipients abandonnés, etc. Mais à regarder ce n'est qu'un versant du problème. Un plus grand civisme permettrait-il de venir à bout de l'épidémie? Aborder le sujet ainsi c'est ne pas connaître les Antilles. Car on ne peut parler de la dengue uniquement sous le signe de la responsabilisation des populations. Bien qu'elle est nécessaire, elle ne doit cependant pas imputer aux seuls gestes citoyens ou à l'armée appelée en renfort, le pouvoir d'éradiquer la dengue. C'est un discours qui permet aux autorités de se défausser sur les individus. Ce seraient eux les responsables de la situation. On ne peut pas aller en ce sens car c'est nier biens des aspects de la société antillaise.
La dengue est un révélateur
Il n'y a pas d'étude sur le sujet à ma connaissance, mais depuis plusieurs décennies les populations sont très sensibilisées à ne pas offrir des gîtes à l'ades aegypsi. Les avancées en ce sens sont très importantes, mêmes si elles sont insuffisantes. Et les causes ne sont pas liées uniquement aux moustiques. Les conditions climatiques de la zone tropicale ont imposé une grande vigilance. En raison des cyclones, les individus doivent laisser de moins en moins d'objets dans la nature, car sous les forts vents ils deviennent des projectiles destructeurs. Il y a donc de plus en plus aux Antilles une responsabilisation même si d'énormes efforts doivent encore être réalisés.
Mais l'aedep aegypsi a bien d'autres endroits pour établir des gîtes pour sa reproduction. Il y a évidemment des cavités naturelles après de fortes pluies. Celles qui posent problèmes résultent de l'activité humaine comme les chantiers. Parmi eux des constructions laissées à l'abandon ou inachevées. Et là les choses sont plus complexes.
De nombreuses familles entament l'édification d'une habitation avec de faibles moyens. Les constructions durent dans le temps et deviennent de véritables hôtels pour moustiques. L'important aux Antilles quand un logement se construit avec des ressources limitées est d'arriver à «fermer sa maison» pour qu'elle soit habitable et sécurisée. Pas étonnant qu'il y ait beaucoup de maisons recouvertes d'une dalle et qui n'ont pas de toiture. Elle sera une étape finale qui adviendra souvent plus d'une décennie après le début du chantier. Certaines ne disposeront jamais de toiture. Malgré toutes les précautions qu'elle prendra, la famille modeste qui tente de devenir propriétaire ne pourra pas empêcher l'adeps aegypsi de trouver en sa dalle, recouverte d'eau, un refuge pour se reproduire.
Des foyers, souvent les plus vulnérables économiquement récupèrent l'eau de pluie grâce à des fûts non recouverts. Ces réserves sont des récupérations de pluies. Notons que des systèmes de récupération inaccessibles aux moustiques se diffusent de plus en plus. Mais ils sont trop souvent inadaptés à la vie tropicale et aux cyclones, ce qui est un obstacle majeur à leur développement. En effet ils doivent être parfaitement amovibles, démontables en très peu de temps, ou doivent résister à des vents de plus de 300 km/h. Cela fait un cahier des charges bien trop compliqué pour les récupérateurs d'eau économiquement accessibles, made in china, pour la grande partie de la population.
Les contraintes de vie imposent d'être vigilant avec l'eau et d'en avoir en réserve. Il n'est pas rare que le vétuste système de canalisation présent aux Antilles casse et prive la population d'eau courante. Il est donc paradoxalement hygiénique d'avoir des réserves. De plus, en période cyclonique, comme c'est le cas maintenant, les réserves sont les bienvenues car si un ouragan frappe, les chances d'avoir une interruption longue de l'approvisionnement en eau courante sont très élevées. Reste donc à allier la contrainte de vigilance et la prévention face aux moustiques. Plusieurs familles optent pour recouvrir les réservoirs par un système de filtres laissant passer l'eau et pas le moustique. Mais il est partiellement efficace et pose d'autres problèmes d'hygiène.
La présence de polluants dans la nature propice à être reconvertis en gîtes par le moustique pose le problème du recyclage. Qu'en est-il de cette filière aux Antilles? Décharges à ciel ouvert et le faible retraitement aboutissent à un engorgement de familles face aux détritus. Des initiatives existent et se développent, mais ne sont pas à l'échelle des besoins. Même les discours le plus raisonnables qui invitent à une meilleure consommation pour un recyclage optimisé ne permettent pas de remplacer le manque d'infrastructure.
Combattre le moustique et la dengue c'est aussi avoir les moyens pour cela. Les laboratoires de recherches présents aux Antilles sont sur ce point insuffisants et trop peu dotés en moyens. Récemment le Député Victorin Lurel a attiré la vigilance du Ministre de l'enseignement supérieur sur ce point. Est-il logique que les laboratoires de recherches en maladies tropicales sont pour les meilleurs dans l'hexagone et non en terre tropicale, aux Antilles?
La dengue est maintenant tellement répandue que l'idée reçue est qu'il faille «laisser le temps passer pour qu'elle disparaisse». L'invitation à consulter un médecin existe, mais l'accès aux soins (ce n'est pas la même chose) n'est pas assez démocratisé. Il y a comme une cassure sociale sur ce point. L'ancien ministre de l'Outre-mer Bernard Pons, retraité de la vie politique et qui s'est installé en Martinique l'a bien compris. Il donne une intervieuw forte intéressante à l'édition martiniquaise du journal France Antilles. Bernard Pons,également médecin retraité note une inégalité des chances dans l'accès aux soins. Lui, l'ancien Ministre se considère comme un privilégié. Il déclare :
Je suis un privilégié. Parce que je suis médecin, que j'ai des amis médecins ou que je suis un ancien ministre, j'ai été hospitalisé. Les perfusions de chlorure de sodium à 0,9% ont pu donner une amélioration rapide. Mais combien y a-t-il de privilégiés dans mon cas? La plupart du temps, les familles sont livrées à elles-mêmes. Inutile de faire des commentaires. Le témoignage de Bernard Pons est sensible, brutal, et malheureusement exact.
Bernard Pons appelle à la responsabilisation les décideurs pour doter en moyens les organismes de santé. Il interpelle la Ministre de la santé qui a manqué de réactivité. Elle arrive aux Antilles après le pic épidémiologique. Certains y verrons un hasard. Mais on peut légitimement en douter pour une épidémie qui dure déjà depuis 6 mois, alors qu'habituellement elle est de quelques semaines. Dommage que la notion de précaution prise pour la grippe A n'a pas eu la même légitimité aux Antilles que dans l'hexagone. Ceci ne fait que renforcer un sentiment bien installé aux Antilles et qui connu une poussée lors des grèves de 2009, d'être des citoyens de seconde zone. Mais il faut dire à la "décharge" des ministres de la Santé et de sa collègue de l'Outremer, qu'il est bien mieux de venir aux Antilles en fin d'été après le pic, que lors du grand risque épidémique! Mais surtout la crainte de voir l'hexagone touchée avec le retour de touristes malades pousse à agir enfin.
Que montrent ces éléments?
La dengue n'est pas une pathologie sans traitement (dixit le témoignage de l'ancien Ministre et médecin Bernard Pons). Sa prise en charge est d'ordre médicale et écologique. Ces deux aspects révèlent qu'il y a dans le traitement de la dengue une dimension liée aux conditions de vie. Ce versant est peu présenté car il discrédite le discours qui consiste à accuser uniquement les comportements des populations antillaises, même si de nombreux gestes polluant doivent disparaître. Mais le cœur du problème touche aux décisions politiques. C'est de là que les moyens peuvent venir pour avoir:
1. un système de canalisation démocratisé et performant pour éviter les récupérations peu hygiénique de l'eau,
2. un accès à l'habitat plus facile pour éviter les impacts sur l'environnement,
3. une filière de recyclage adaptée,
4. un accès égalitaire aux soins,
5. une recherche scientifique en cohérence avec les besoins locaux,
6. une réaction du ministère de la santé, en phase avec le développement épidémiologique.
L'épidémie de dengue est une parfaite illustration du rapport qu'entretien la France avec les Antilles. Il y a des responsabilités évidentes de l'Etat qui doit donner les moyens d'actions et manifester le même engagement déjà vu dans d'autres épidémies dans l'hexagone. Mais ceci ne doit pourtant pas faire occulter que c'est localement que les bons gestes et les bonnes décisions doivent être pris.
Commentaires
Bonjour,
je suis bien d'accord avec vous.
en effet, au moins de juin , je suis allée avec mon chéri d'origine martiniquaise en martinique (il est de métropole, mais ses parents viennent tous deux de l'île).
ce qui nous a très profondément choqué est le problème ou plutôt devrions nous parler de "crise environnementale".
En effet, l'état de l'île est totalement déplorable de ce point de vue là ! pour une île vivant du tourisme, cela relève de l'irresponsabilité et du suicide ! POur moi, c'est une aberration de voir cela. J'avoue que je n'attendais pas à cela ! pour moi, qui ai connu la campagne profonde et pauvre de métropole dans les années 80, même si j'étais enfant à cette époque là, j'avoue que cela m'a rappelé immédiatement cette époque !
je trouve cela honteux !
Si ce problème était résolu, cela faciliterait grandement la lutte contre le moustique porteur de la dengue !
Bien cordialement,
Miss Nono