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Mort de hector Bianciotti : Retour sur les coulisses d'une interview et Récitation de Patrick Chamoiseau

Hector BianciottiEntre les tweets de de Valérie Trierweiler, la défaite annoncée de Ségolène Royal, les matchs de l'Euro en Ukraine, la dégradation par des notes souveraines d'Etats, Hector Bianciotti est décédé. Je ne décollère pas que cette information soit dans les bas fonds de l'information. Tentons ici de participer à un réquilibage en vous invitant à redécouvrir cette académicien. Je ne suis pas un spécialiste de Bianciotti. Pour tout dire, l’œuvre m'est en grande partie inconnue. Mais j'ai eu la chance de le rencontrer et l'impact fut foudroyant.
En 1999, je travaillais dans un journal associatif sur la culture du Nord, Delirium-Le-Journal. Expérience inoubliable rendue possible grâce à son fondateur Narcisse Adja, mon ami, et des partenariats avec le Furet du Nord, puis la Fnac. Etudiant subissant une année blanche, cette activité permettait de respirer autre chose que les théories sociologiques, de sortir des statistiques sur les groupes religieux et de prendre de la distance avec les discours théologiques que j'analysais.

Hector Bianciotti, Comme la Trace d'un oiseau dans l'air, Décès d'Hector BianciottiUn matin, Narcisse me déclare qu'un académicien arrive dans quelques heures à Lille et il faut l'interviewer au Furet du Nord et en plus animer la présentation de son livre devant un public. Ma réponse est immédiate, sans appel ; « oui – donnes le livre tout de suite ». Je m'y mets. Je découvre, ce que je savais en théorie : il y a des livres qui ne se laissent pas lire. Il faut donc les lire. L'invité est Hector Bianciotti. Son livre Comme la trace d'un oiseau dans l'aire. La rencontre avec Hector Bianciotti fut exceptionnelle. C'est son accent qui m'a surpris. Oui, dans l'empressement de lire son livre en de préparer son interview j'avais, omis, incroyable, de juste vérifier sa biographie. Mais ce fut un mal pour un bien car il l'avait sans doute remarqué mes tâtonnements. De fait il s'est présenté comme un écrivain argentin. Il insista sur l'intérêt de valoriser ses influences culturelles dans une œuvre et sans savoir comment, en off il me parla de la littérature antillaise. Ce fut une nouvelle leçon. L'inconnu que j'aurai du connaître connaissait ma culture mieux que moi et m'invita indirectement à m'y plonger. Je devenais l'inconnu dans la conversation, je découvrais grâce à Bianciotti mon ignorance, l'inconnue que j'étais devenu pour moi. Délectable moment car l'académicien me disait également son implication discrète auprès d'auteurs antillais. Preuve en est, sous mes yeux, il relisait un manuscrit de Chamoiseau (je ne sais lequel!) à la demande de l'écrivain martiniquais qui visiblement attendait son avis avant publication.

Je retiens ce moment intense qui n'est pas présent dans l'interview et qui me reviens encore, brutalement à l'annonce de la mort de Bianciotti. Deux phrases lors de notre échange me marquèrent définitivement. La première touche son rapport aux mots et vient de son livre Comme la trace d'un oiseau dans l'eau : « Je ne me souviens pas d'avoir entretenu des rapports paisibles avec les mots ». La seconde, également extraite du même ouvrage, occupa notre échange longtemps et a une valeur morale toute excellente :

Finalement, 13 ans après cette interview et après être devenu un sociologue qui tente de comprendre les complexités de nos vérités, en particulier dans les groupes religieux protestants, je me dis que Bianciotti avait raison : « La vérité est une étrangère dans ce monde et toute cohabitation à long terme avec elle, devient impossible ». C'était sa seconde phrase dans notre interview et son livre, celle que je garde comme un héritage personnel.

Bon vent cher Hector.

Relisez la version intégrale de l'interview de Bianciotti sur les archives en ligne de Delirium-Le-Journal, réalisée par mes soins en 1999.

 

En complément, je vous porte cette Récitation pour Hector Bianciotti reçue de Patrick Chamoiseau, puisque vous l'avez compris, les deux hommes se connaissaient depuis longtemps

 

Il y aura sans doute une bourrasque rétive sur la Pampa, un soupir italien dans les lettres les plus belles, et bien sûr le tressaillement de cette langue de France offerte à l'autre imaginaire  ­­̶  venu de loin, venu d'ailleurs et de nulle part  ­­̶  soumise à la vision subtile, océanique, et tellement large des grands lecteurs. Toute l'origine projetée dans l'horizon, tant de langues désirées, de passages assumés, sous l'arc-en-ciel des sentiments ! J'ai gardé la douceur de la voix, les beautés de l'accent, l'élégance inscrite dans une majesté simple, la courtoisie princière, cette ouverture aux étrangetés créoles du jeune apprenti romancier accueilli à l'entrée du palais, et puis cette présence fidèle, l'exigence attentive…

Alors voilà : ce qui hurle aujourd'hui, qui hurlera longtemps, à chaque paupière et dans chaque ronde du sang, ce qui suspend la perte et qui défait l'absence, Hector, c'est tout l'honneur d'une amitié, et d'une reconnaissance, et d'une lumière très proche du plus profond vivant, instruite des mutations de l'amour, soucieuse des plus beaux indicibles de la littérature élevés aux longues spirales du chant et aux murmures intelligents de la mélancolie.

Patrick CHAMOISEAU

 

Relisez la version intégrale de l'interview de Bianciotti sur les archives en ligne de Delirium-Le-Journal, réalisée par mes soins en 1999.

Commentaires

  • Je viens d'apprendre par vos soins (étant à l'étranger) la mort d'Hector Bianccotti.
    C'est pour moi une peine.
    J'ai connu Hector Bianccotti par mes lectures adolescentes et ai continué à le lire jusqu'à un âge plus raisonnable.
    Cette douce et amère mélancolie qui le caractérisait avait eu tôt fait de me rapprocher de lui...
    C'est donc un ami que je perds...
    Si vous ne l'avez pas lu, faîtes le !
    Commencez par "Sans la miséricorde du Christ" , poursuivez par "Le Traité des saisons", "Ce que la nuit raconte au jour" etc...
    On ressort différent des livres de Bianccotti : plus délicat.
    Et on se dit que la vie est aussi faite ainsi: de moments râtés, de rencontres improbables et riches; jonchée de rêves et de désillusions ... Ciao Hector !

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