Sous la direction d’Elian Sempaire Etienne, l’ouvrage dont je viens de prendre possession, publié depuis quelques jours, est une monographie mémorielle qui reprend, à partir de données internes à l’Église adventiste du septième jour (SDA) les grandes progressions et enjeux de la SDA en Guadeloupe. Réalisé à la demande de l’Église adventiste de la Guadeloupe comme indiqué dès la première page, l’ouvrage consolide la mémoire adventiste. Il est le versant guadeloupéen de l’Adventisme à la Martinique de Jean Luc Chandler publié en 2003. D’ailleurs il s’en réfère souvent et épouse le même format.
1910 – 2010, un siècle d’adventisme en Guadeloupe reconstruit le regard de l’Église adventiste sur son histoire guadeloupéenne. De ce fait, il faut bien garder à l’esprit de par la commande et les contributions qu’il s’agit d’une mémoire. Je parle de mémoire au sens de Krzysztof Pomian, c’est-à-dire d’un domaine de l’histoire soumis à la sensibilité des acteurs sociaux. Il ne s’agit donc pas d’une construction scientifique globale et non orientée. En d’autres mots il est une première contribution significative pour l’écriture à venir d’une histoire, objectivée et scientifique de l’Église adventiste du septième jour en Guadeloupe. Là n’est pas un reproche car, le travail de mémoire réalisé ne s’est pas économisé de méthodes scientifiques. Entretiens, archives, enquêtes, les auteurs et surtout Elian Sempaire Etienne ont fait un travail titanesque. L’ouvrage est inédit et de nombreux points forts permettent de l’apprécier en attendant qu’il donne naissance à un prolongement scientifique. Je ferai quelques remarques rapides, des reproches qui j'espère seront reçues positivement et surtout je soulignerai (certes furtivement) la forte attente scientifique que suscite judicieusement Elianse Sempaire Etienne.
Premièrement, il s’agit d’une monographie mémorielle très utile pour une communauté religieuse définitivement encrée dans le paysage antillais. Il contribuera à la transmission de la mémoire adventiste. La différence entre mémoire et histoire est importante. La mémoire renvoie à un rapport subjectif avec une représentation souvent passionnée de l'histoire. Cependant l'histoire reste une construction, qui prend en compte la mémoire, pour dépasser le regard qu'ont les individus sur leur trajectoire (Voir Krzysztof Pomian Sur l'histoire, folio histoire, Paris, Gallimard, 1999 et Paul Ricoeur La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Points-Seuil, 2000). En gros je dirai que la mémoire est le regard que l'on a sur l'histoire fort de ses sensibilités et l'histoire est la prise en compte de la mémoire dans un discours global. L'un et l'autre deviennent aujourd'hui de plus en plus proche car les acteurs sociaux veulent devenir des acteurs de leur histoire. De plus les historiens se rendent de plus en plus compte que la mémoire n'est pas contre l'histoire, mais un des éléments constitutifs.
Cette remarque préalable est importante car l'ouvrage est une photographie de la mémoire adventiste. ll reprend donc les représentations adventistes sur sa propre évolution dans la société guadeloupéenne. De fait, au sens de Peter Berger Un siècle d’adventisme en Guadeloupe est un ouvrage de « plausibilité » car il consolide la mémoire, la socialisation des adventistes et son acceptabilité sociale.
Deuxièmement, outre les étapes de l’évolution de l’Église adventiste en Guadeloupe et des biographies inhérentes à l’exercice, on retrouvera surtout les axes classiques de développement de l’adventisme. Dans le cas caribéens, comme je viens de le montrer dans l’Atlas des religions minoritaires, le colportage et le système éducatif ont été des atouts majeurs. Mais Elilane Sempaire va plus loin. Elle rappelle la philosophie de l’Education adventiste et son expression en Guadeloupe. Elle revient sur l’installation des structures éducatives adventistes et de la montée en puissance du lycée La Persévérance, aujourd’hui premier lycée de Guadeloupe au dernier classement des établissements scolaires [C’est nous qui rajoutons cette précision].
Dans une île marquée par le besoin d’une éducation éthique, structurante, loin des violences, la cité scolaire adventiste de La Persévérance s’est toujours démarquée. Autour d’elle un réseau de petites écoles participe au rayonnement de l’éducation adventiste.
Un autre chapitre se démarque sous la plume de Philippe Nacto car particulièrement bien structuré « La musique au sein du mouvement adventiste du septième jour ». Il doit être lu en lien avec l’ouvrage que vient de publier Sébastien Fath Gospel et francophonie aux éditions Empreintes.
Nacto souligne le rôle fondateur et la forte influence adventiste sur l’évolution de la musique religieuse protestante en Guadeloupe. De son influence des débuts venus des USA, la pratique musicale adventiste a connu différentes phases de progression où les chorales et les groupes de chants furent déterminants sous l’impulsion de chefs de chœur pionniers. Le chapitre n’épargne pas les débats qui se sont un temps développés dans la tension au sein de l’adventisme autour d’usage de la batterie et du Ka dans les communautés. Ces instruments furent un temps honnis car perçus comme non ascétiques en raison des rythmes et de la mémoire de l’esclavage. Et là, l’auteur est extrêmement précis : « L’Église chrétienne dans son évolution, a fait la guerre aux musiciens… et l’adventisme n’en fait pas exception ». Il rajoute « […] un objet, même quand c’est un instrument de musique, ne peut être condamnable […] il ne peut être ni bon ni mauvais au sens propre du terme. […] En un mot le procès fait aux instruments n’avaient aucun fondement » (pp. 277, 278). Dans ce chapitre le rôle pionnier et amplificateur de groupes adventistes pour le développement du Gospel et du Negro spiritual est détaillé sans oublier également l’impulsion donnée aux chœurs d’enfants.
Le chapitre qui suit mérite également une attention particulière car il revient sur un autre levier classique du développement adventiste à savoir le rapport à la santé. Sous la plume de Eliane Sempaire Etienne et Robert Quiko, on redécouvre les actions adventistes autour de la santé. L’auteure arrive à bien souligner le fait que la santé est en adventisme un élément central qui permet de faire un lien constructif avec l’ensemble de la société. De fait, les actions et surtout les organismes adventistes ont souvent progressé dans ce cadre en lien avec les structures étatiques ou régionales prolongeant ainsi le rôle de l’État. C’est en ce sens que j’ai d’ailleurs créé la notion de Religion de la santé avec la SDA comme type.
On apprécie également en fin d’ouvrage les nombreuses données statistiques qui conduisent à mieux appréhender la réalité objective de la présence adventiste.
Alors que reprocher à cet ouvrage; quelques chapitres malheureusement trop succincts, furtifs peu étayés, parfois trop évasifs viennent donner à l’ensemble un aspect inégal. Tel est particulièrement le cas de petits appendices sur la "formation permanente" (p123 - 130) qui devraient constituer un unique chapitre. Ce même reproche se confirme au regard du chapitre "L'organisation du mouvement : tranches d'âge, projet et réalisation" (p 199 - 206). Ces pages se rapprochent plus de la présentation synthétique d'un rapport alors que les autres chapitres sont construits plus rigoureusement. Il faut dire que les passages concernés ne sont pas réalisés par Elian Sempaire-Etienne. Les contributions faites directement par Elian Sempaire Etienne qui a une expérience éditoriale sont denses. Il en va de même pour le chapitre déjà mentionné de Philippe Nacto.
Le principalement manque demeure dans la nature et la complexité de l’exercice à savoir un regard critique sur le développement de l’adventisme, ses tensions avec l’ensemble de la société et ses clivages internes, car l’histoire et la sociologie de l’adventisme conduisent indiscutablement à parler des adventismes pour souligner les variabilités des perceptions au sein de ce mouvement religieux. De fait, on ne peut être que surpris par l'absence de lien avec la littérature scientifique sur l'histoire de l'Eglise adventiste. L'ouvrage semble se raisonner hors champ, comme s'il tenterait de se suffire pour rendre compte de l'histoire adventiste. C'est le cas lorsque les auteurs font des liens avec l'adventisme à échelle mondial dans l'histoire et l'organisation. L'absence de bibliographie peut se comprendre à l'aune de cette critique. C'est le prix d'un travail uniquement axé sur la mémoire.
A la décharge des auteurs ce n’était pas le but de leur travail. L’objectif premier était d’écrire, d’acter la mémoire adventiste et son caractère multiforme. Et là, il est plus que dépasser et pousse à souhaiter un bon accueil de l’ouvrage. Ce dernier ne manquera de devenir un repère pour comprendre et analyser par la suite la place de l’adventisme en Guadeloupe. En tous les cas, il donne envie qu’Eliane Sempaire Etienne qui porte l’ouvrage publie une étude des facteurs du succès adventiste et les relations entre cette église et la société guadeloupéenne dans ses tensions et convergences pour reconstruire la dynamique de ce lien. Bravo à Eliane pour ce travail colossal.