La Miviludes est une structure que je considère comme nécessaire à la vie démocratique. Elle est même indispensable dans la construction encadrée des oppositions nécessaires à l’expression des libertés. Cependant, et j’insiste, cette structure ne peut pas fonctionner sur des préconceptions avec des affirmations irrationnelles, alors qu’elle peut être, en tout temps, consultée par les décideurs et influencer. D’ailleurs, il ne faut jamais oublier que depuis sa fragilisation et la logique mise sous coupole du Ministère de l’Intérieur, la Miviludes a le sentiment de jouer sa survie. Dans un article publié ce 29 avril 2020, la Miviludes avance une logique trouble qui révèle une méconnaissance des groupes dont elle veut défendre les individus.
Dès les premières lignes de l’article un non-sens s’affiche. Dès les premières lignes de l’article un non-sens s’affiche.
Vous avez bien lu et je n’ai rien tronqué de l’article tel qu’il est diffusé. Comment lancer une alerte sur des groupes, non mentionnés, alors que la Miviludes et son réseau d’associations partenaires indiquent : n’avoir reçu que très peu d’appels depuis le début de la crise sanitaire ? « On est confinés, les groupes déviants le sont donc aussi. » Echaudé juridiquement la Miviludes n’identifie pas les groupes mais laisse apparaître des indices en parlant de tractage. Ils ne sont pas nombreux à tenir sur la voie publique des pupitres, ou à solliciter les passants sur des marchés !
Ce qui est bien plus important c’est l’absence de profondeur historique et social dans la mise en garde de la Miviludes. Oui, elle a raison de dire que le contexte de pandémie est propice aux discours prophétiques. Mais il y a une différence abyssale entre prophétisme et dérive sectaire. Toutes les pandémies furent marquées par des réveils, des préoccupations prophétiques. Des messianismes ont souvent été dynamique en période pandémique.
En parlant de prophétisme, obnubilée par le sectarisme, la Miviludes ne perçoit pas la montée du scepticisme envers les prophétismes. Nombres d’acteurs individuels, surtout sur les réseaux sociaux, ridiculisent les leaders qui se définissent comme prophète parce qu’ils n’avaient pas annoncé la pandémie. Certains poussent l’invective, et ils sont nombreux, à ridiculiser les acteurs religieux friands de miracles pour qu’ils guérissent du covid-19 !
L’une des particularités de cette pandémie est la vague de critiques qu’elle entraîne. Critique contre les institutions politiques, scientifiques et religieuses. Cette critique des institutions n’est pas à confondre avec le rejet du politique, de la science ou du religieux. D’ailleurs les individus dans les sondages sérieux comme celui du Cevipof montrent le besoin de politique pour mieux gérer la crise. Les attentes envers les sciences médicales sont grandes et évidentes, et la forte poussée de l’achat de Bible illustre à elle seule le besoin de religion.
Jean Vitaux a largement montré (Voir ses deux ouvrages : Histoire de la lèpre et Histoire de la peste chez PUF) que les pandémies ont donné lieu à un activisme de la pensée religieuse et prophétique. J’insisterai surtout sur le fait qu’historiquement, le religieux institutionnel a été le bras armé de fantasmes sur les origines des pandémies. Il a participé dans les léproseries et lors des pandémies de peste à la mort civile des malades, exclus des sacrements, « enterrés » anonymement et même parfois à la confiscation des biens de leur descendants mêmes valides ! Ainsi, dans la vague populaire, populiste, le religieux établi, majoritaire, a souvent accompagné la stigmatisation des plus fragiles. Les juifs, les étrangers, les cagots, les plus pauvres ont été souvent, a contrario, assistés par les groupes religieux qui tractent pour se reconstruire !
Un autre point avancé dans cet article est la montée des médecines traditionnelles. Je sais que c’est un point sensible et l’agiter sans donnée factuelle et vérifiable en situation pandémique est une inconscience majeure. Au moment où nous écrivons c’est la polémique inhérente à la recherche scientifique qui occupe. Quel protocole ; quel vaccin ; quels essais thérapeutiques ; quelles combinaisons de molécules ? Comment réaliser des tests… Le débat est de ce côté. Je n’ai eu vent, à aucun moment de groupes religieux qui arguent un rejet par anticipation des résultats des recherches scientifiques sur le Covid-19 à ce jour. Si la Miviludes a de telles informations elle doit les notifier sans sous-entendu robespierrien. Cela ne peut que lui être préjudiciable.
Du côté de la santé il est unanimement acquis pour les observateurs du système de santé qu’il y aura des vagues après le covid-19 de pathologies chroniques chez des patients qui ont quitté tout suivi médical. J’ai d’ailleurs réécouté plusieurs émissions de groupes religieux avec des médecins qui insistent sur la nécessité de consulter et l’adoption d’une hygiène de vie, conforme aux connaissances médicales conventionnelles pour prévenir des pathologies. Je n’ai pas eu d’information de groupes religieux qui demande nouvellement de ne pas consulter les médecins. Au contraire ; les groupes religieux hygiénistes ont d’ailleurs sautés sur l’occasion de la pandémie pour indiquer que celle-ci est nécessairement liée à une intervention humaine (l’expression est trop large), qui peut aller de la promiscuité avec le monde animal à la malveillance. Ils encouragent les membres à se soigner sous les conseils de leur médecin, organise les chaînes de prières pour les professionnels de santé.
Aujourd’hui les organisations religieuses, surtout les plus minoritaires, sont concentrées dans la préservation du lien social par les outils numériques, à l’instar du monde du travail, des administrations et des associations. Elles ne semblent pas déployer une ingéniosité, nouvelle, particulière, pour contourner la médecine conventionnelle, même si certaines, comme de plus en plus de français, sont sensibles au pratiques médicales holistiques non allopathique.
La Miviludes alerte de la montée des médecines parallèles dans les groupes religieux à tendance sectaire face au covid-19. Concernant ce point précis, il est vrai qu’il y a un vrai concours Lépine. Mais ce n’est pas dans les groupes religieux qu’il prédomine. Un regard sur la toile, les réseaux sociaux, montre qu’il se déroule dans l’ensemble du corps social. Dans la médecine traditionnelle c’est l’utilisation de l’artemisia, très présente à Madagascar qui cristallise. En France elle est illégale. La Miviludes a-t-elle des informations sur son importation, son usage en France ? Personnellement quand j’interroge rapidement des groupes religieux, je découvre qu’ils ne connaissent pas cette plante et le vif débat qu’il a suscité.
Encore une fois et c’est dommage, la Miviludes est hors sujet, n’avance pas de chiffre, agite des chiffons rouges alors que les groupes religieux, comme l’ensemble du corps social ne font que tenter de s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Agiter les peurs n’est en rien une solution surtout quand aucune donnée factuelle, scientifique est avancée et donc vérifiable. Et comme dit l’adage maintenant issue d’une grand-mère à la petite fille célèbre : « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ».
Instance qui serait très utile à la vie démocratique par une observation objective des groupes religieux dans leur rapport à la société globale, la Miviludes ne fait que montrer encore une fois qu'elle est en échec face aux besoins de critiques objectives, rigoureuses pour garantir le lien social.
Depuis la pandémie, avec la place centrale des groupes religieux dans les clusters en France et en Corée du Sud, la stigmatisation de ces derniers est forte. Il est à regretter que par sa légèreté la Miviludes contribue à la stigmatisation.