Les groupes religieux ont depuis très longtemps compris l’intérêt de la formation initiale et continue. Elles sont, si je puis dire, dans leur ADN. Réaliser de la formation initiale permet de faire découvrir les fondamentaux. L’exemple le plus marquant est le Heder dans la tradition juive. Regardons bien : les écoles du dimanche, du sabbat, le catéchisme, école coranique, sont des équilibres conceptuels entre formation initiale et continue. Elles inculquent les fondamentaux pour les néophytes et enfants, tout en veillant à complexifier les connaissances des plus aguerris. Les normes et valeurs du groupe sont ainsi partagées. A l’heure de la grande mutation des modes d’apprentissage et de transmission pour répondre à l’évolution rapide et dense des exigences, la formation continue doit se penser s'adapter aux organisations religieuses et éthiques. C’est un défi majeur qu’il faut relever.
Outre les espaces dédiés, les communautés religieuses réalisent la transmission des normes et valeurs au travers de toutes les rencontres, discours, échanges, relations au sein du groupe. C’est cette multiplication qui permet, comme le note Peter Berger et Thomas Luckmann, une "resocialisation", une recomposition de l’identité vers de nouveaux repères, voire une alternation. La communauté devient ainsi une structure de plausibilité. Elle rend réaliste, par l’intensité permanente de la transmission des normes et valeurs, leur acquisition et acceptation.
En ce qui concerne la formation continue elle a pour moi deux versants. Le premier est sujet à débat. Il s’agit encore une fois de la structure de plausibilité. Elle vise aussi à renforcer, complexifier les acquis de tous les membres de la communauté et cela en permanence. D’où l’idée de formation continue. On retrouve, avec un parallèle maladroit la thématique paulienne de la croissance du savoir notamment avec la métaphore de l’abandon de l’alimentation nécessaire et facile, le lait, pour des aliments plus complexes, des connaissances plus dures, mais nécessaires au moment opportun (1. Corinthiens 3:2). L’acquisition des fondamentaux et la vérification de leur maitrise sont aussi omniprésentes dans les espaces de formation. Cela peut donner parfois l’impression d’une répétition bien connue des pédagogues. Ici on peut encore retrouver la métaphore biblique du lait sous la plume de Pierre (1 Pierre 2:2) et plus globalement l’approche vertueuse développée par le Christ de la symbolique d’une posture de enfantine face au savoir. Si je prends l’exemple de l’école du sabbat adventiste, la catéchèse vise à permettre une découverte des notions pour les néophytes et les enfants, tout en répondant aux attentes des plus anciens. D’ailleurs dans ce cadre, il est très intéressant de remarquer comment de manière non évidente le silence des apprenants est aussi utilisé pour qu’ils adoptent les valeurs, mais surtout les normes comportementales et la compréhension des règles bureaucratiques de l’organisation. Cela fait penser à des cercles réflexifs où officiellement le silence cette fois est imposé aux apprenants avant de passer des grades et pouvoir s'exprimer.
Dans sa forme plus conventionnelle la formation continue est organisée par les réseaux comme les Instituts, écoles et universités. Elle vise à former des laïcs qui souhaitent un haut niveau de conceptualisation. C’est de cette filière que sont issus les cadres religieux. Ce réseau réalise donc une formation initiale scolaire classique mais aussi cette fameuse formation continue qui vise à adapter en permanence les connaissances aux évolutions des exigences sociétales.
La formation continue dans un groupe religieux doit donc intégrer toujours deux niveaux. Celui des membres qui y attendent une simple densification du savoir, et celui des cadres religieux qui ont besoin en plus de la densification une opérabilité, un praxéologie, visant à organiser la vie ecclésiale dans un contexte législatif contraint.
En plus du cadre des Instituts et universités, il apparaît que la formation continue doit aujourd’hui se frotter, s’enrichir d’apports venant d’une hybridation entre connaissances académiques et réalité pratiques vécues. J’entends par là un mariage entre expertise scientifique, savoir expérientielle des acteurs religieux et des expertises venant d’acteurs reconnues dans des domaines variées. Faire croiser des savoirs pour construire des connaissances transversales est un défi et une mutation nécessaire dans la formation continue des cadres religieux. Il y a une hypertrophie des attentes sociales vis-à-vis des cadres religieux. Si je prends l’exemple des pasteurs, les communautés attendent d’eux une expertise théologique, des capacités pédagogiques, des actions de leadership, des compétences managériales, des approches psychologiques, des applications ergonomiques, des aptitudes de gestionnaires… tout cela dans une société qui impose un cadre législatif mouvant. S’ajoute également les mouvements de font de la société dans laquelle est établi le groupe. Aucune communauté ne peut par exemple s’exonérer d’une réflexion sur la place de la femme, la maltraitance psychologique, la surutilisation de la notion de bienveillance, des attentes générationnelles, de l’impact de l’Intelligence Artificielle, des mutations survenues avec la Covid-19, des capacités à construire une cohésion, etc.
La réponse à ses questions est au croisement des savoirs d’experts issus des Instituts, universités et écoles spécialisées avec l’expérience d’acteurs de terrain qui dans d’autres situations répondent aux mêmes défis. Un cadre religieux qui dans un seul espace rencontre des leaders du sport, du monde de l’entreprise, des ingénieurs, des sociologues, des coachs, des juristes, autour d’une unique question est selon moi une forme à venir de la formation continue des cadres religieux dans une société sécularisée. Et cela, pas devant un tableau, mais dans un cadre non hiérarchisé pour la co-construction de démarches efficientes. Cette connaissance efficiente est donc le résultat d’une transversalité.